Chroniques

par laurent bergnach

silence et brillance de l'alto
Christophe Desjardins | Anna Spina

Archipel / Maison Communale de Plainpalais, Genève
- 21 et 22 mars 2009
L’altiste Anna Spina
© dr

En ce week-end inaugural d’une nouvelle édition riche en rendez-vous (une vingtaine, du 20 au 28 mars), le festival Archipel nous offre deux programmes d’exception consacrés à l’alto. Traduit du silence, le premier, met l’accent sur des compositeurs qui, sans aller jusqu’aux limites atteintes par Nono dans Fragmente-Stille, an Diotima – joué la veille par la formation française qui lui doit son nom – font la part belle au silence. Dans Tornasole (1992-93), on retrouve cette « volonté de faire disparaître l’emphase » – évoquée en préambule par Marc Texier, directeur de la manifestation – dans cette tentative avortée de lyrisme signée Stefano Gervasoni. Ce dernier, réfléchissant ici à la nature du son, souhaite « soustraire le poids, enlever le relief, éclairer les composantes aiguës du timbre » et, pour ce faire, déguise les caractéristiques d’un alto associé à la gravité (microtonalités, glissandos, etc.). Une seconde pièce du natif de Bergame, pour ensemble celle-là, sera jouée en fin de concert [lire notre chronique].

« Pour moi, le silence est aussi un substitut au contrepoint. C’est : rien contre quelque chose. Différents degrés de rien contre quelque chose, ça existe réellement, c’est quelque chose qui respire. »Par cette déclaration, Morton Feldman met l’accent sur l’aspect subtilement organique du silence, loin de l’artifice associé à certains rythmes mécaniques. Dans The Viola in My Life II, par exemple – donné après The Viola in My Life III et I –, la matière sonore se raréfie à mesure que la pièce invite à la contemplation et que résonne « l’écho de voix ancestrales, affleurement d’une mémoire enfouie, étoile filante du cours inexorable du temps », selon les mots judicieux de Christophe Desjardins – qui a enregistré l'œuvre pour le label æon [AECD 0425]. Impressionnant de maîtrise et de charisme, l’altiste a pour partenaire les membres de l’Ensemble Namascae et de l’Ensemble Contemporain du Conservatoire de Lausanne.

Autre soliste de talent, Anna Spina nous convie à une matinée de théâtre musical. Outre des œuvres classiques telles que Trema (1981/83), à l’énergie anxieuse, où Heinz Holliger privilégie l’utilisation de différents niveaux temporels, puis le frémissant Tre notturni brillanti (1975) de Salvatore Sciarrino – pièce que Garth Knox, un de professeurs de la Suissesse, nous a rendu familière [lire notre chronique du 8 juin 2005] –, la musicienne prône l’interdisciplinarité. Ainsi, de l’Allemand Manos Tsangaris, Tmesi mêle aux sons la pénombre, tandis que Viola, viola, viola, voilà de l’Américaine Elizabeth Adams propose une réflexion – annoncée comme « très philosophique » ­– sur différents points de vue sur soi-même : surexposés à l’écran, trois clones livrent chacun sa partie d’un quatuor quand Anna Spina joue la sienne dos au public, lui lançant parfois des regards inquiets.

L’artiste confie avoir passé un an à travailler la pièce de son compatriote Jurg Wyttenbach – qui a notamment étudié la composition avec Sándor Veress. Avec ses comptines mordantes, des onomatopées ou encore une variation sur Plaisir d’amour, les Trois chansons violées (1971/79) ont servi d’apprentissage à l’altiste chantante. Forte de cette étape, on imagine qu’elle a pu s’attaquer plus sereinement à la dernière œuvre au programme : Photomaton-Commentaires (achevé en 1997, puis revu en 2007) de Georges Aperghis qui réunit l’instrument, la parole et la vidéo en temps réel. Un écran où apparaissent des ombres chinoises, un entonnoir en guise de porte-voix, des grimaces à la caméra… Toute la fantaisie du compositeur est rendue avec soin pour faire honneur au spectacle total.

LB