Chroniques

par bertrand bolognesi

semaine Marco Stroppa, épisode 5
Florent Jodelet, percussion

Théâtre du Châtelet, Paris
- 13 janvier 2005
le percussioniste Florent Jodelet joue la musique de Marco Stroppa
© dr

Le récital du pianiste Florian Hölscher présentait hier quelques œ uvres faisant appel à l'électronique. En quelque sorte, il marquait un passage dans le parcours de la Semaine Marco Stroppa, puisque ce médium allait être majoritairement à l’honneur dans la seconde partie de cette carte blanche. Tout d’abord avec le concert donné jeudi soir par le percussionniste Florent Jodelet que l’on entend régulièrement aux côtés des musiciens de plusieurs ensembles spécialisés dans la musique d’aujourd’hui, comme 2e2m, TM+, Court-circuit, L’Itinéraire et l’EIC, ou encore au sein de l’Orchestre National de France. Comme hier, c’est le compositeur lui-même qui l’accompagne aux commandes, dans le Salon Nijinski.

Cette fois, le public est plongé dans le noir et son écoute guidée par une dramaturgie particulière. Mari de Franco Donatoni (1992) ouvre le programme, une partition ne faisant pas appel à la machine, de même que Loops II achevé il y a deux ans par Philippe Hurel. Si les deux pièces pour marimba constituant Mari fascinent par un jeu qui, pour léger qu’il soit, n’en demeure pas moins « nécessaire », l’œuvre pour vibraphone du compositeur français accumule des procédés répétitifs que l’écoute anticipe malgré une volubilité vertigineuse. Les faisant alterner avec ces pièces strictement acoustiques, Florent Jodelet et Marco Stroppa jouent ensemble deux compositions requérant la technique installée au quatrième étage du Châtelet, ainsi que Nasenflügeltanz (qui n’a pas pris une ride en presque vingt ans) écrit pour batterie amplifiée par Stockhausen. Du compositeur grec Alexandros Markéas, nous entendons Buzzing & Zapping, une création où intervient la vidéo sur deux écrans qui permettent tour à tour de superposer l’image des sons produits en direct l’instant précédent aux nouveaux que le soliste est en train de produire, d’accompagner l’auditeur dans la révélation des procédés de collages, multiplications, coupures, sauts, etc., faisant surgir une continuelle référence gestuelle des idées musicales et des techniques employés pour les exploiter.

Enfin, comme pour Nasenflügeltanz, deux projecteurs orientés face au public aveuglent l’audition, si l’on peut dire, d’Auras pour métaux et électronique de chambre de Marco Stroppa (1995-2003). Cette œuvre convoque une mise en scène de l’interprétation déjà rencontrée dans l’exécution d’autres pièces du compositeur durant cette semaine, mais cette fois, il est tout à fait impossible de suivre réellement ce qui se passe en live. L’agressivité de la lumière fait baisser la tête, détourner le regard, voire, pour ceux qui ont les yeux clairs, contraint de se masquer de leur main ou des notes de programme.

Entendons-nous bien : je n’évoque pas ici de futiles questions de confort, je me demande bien plutôt, en tentant de dépasser le côté purement désagréable de la chose, quels peuvent en être les mobiles et les effets. De fait, la lumière nous force à ne plus regarder le concert ; est-ce pour nous obliger à nous concentrer uniquement sur le son ? Le vice de cette manière de faire est d’au contraire isoler, voire éloigner de l’événement, annihilant ainsi toute forme de participation – si tant est que l’écoute « participe », je ne croirai jamais prétentieux de la croire active. Dans ce cas, elle finit par se désinvestir, soudain gagnée par le sentiment de n’avoir rien à faire ici, d’être inopportun, de devoir peut-être quitter une cérémonie qui ne lui est plus destinée. De fait (l’on voudra bien m’excuser l’apparente et toute relative violence de cette constatation et peut-être de cette mienne carence momentanée), je ne suis pas même parvenu à comprendre pourquoi quiconque devrait applaudir ou se manifester de quelque manière que ce soit. Je laisserai donc Marco Stroppa présenter son travail comme suit, sans autre commentaire de ma part :

« Auras et little i débutent mes recherches dans le domaine de l'électronique de chambre. Dans Auras, tout est question de finesse, le jeu du percussionniste étant capté par douze microphones, transformé par un ordinateur et renvoyé, comme un halo différent, dans le même espace acoustique que les percussions. À la fin, il s'agit de ne remarquer l'électronique que ponctuellement, même si elle est toujours là, en modifiant le champs acoustique des instruments réels. J'ai aussi cherché des moyens de créer des sonorités presque électroniques (en tout cas hybrides) avec les métaux seuls, par exemple en combinant des instruments à son déterminé (plus ou moins centrés, par exemple les bols qui le sont beaucoup et les cymbales qui le sont moins) posés à l'envers (pour les cymbales) sur une timbales avec un glissando de la pédale, donc de la résonance. Un état ambigu est produit, entre un son dont la hauteur ne varie pas, résistant au glissando ».

BB