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Chroniques
São Paulo, a symphonia da metropole
film de Kemeny et Lustig – musique de Sukorski et Tragtenberg
Dans les années vingt, le cinéma, art adolescent, découvre la ville et s'enthousiasme pour ses labyrinthes, ceux des méandres d'une cité ancienne ou ceux pleins de promesses des nouvelles métropoles ; et tandis que le vieux monde imagine des villes chimériques à la géographie psychotique, les Hongrois Rudolph Rex Lustig et Adalberto Kemeny, transfuges de Budapest (Pathé) et de Berlin (UFA) installés au Brésil, tournent en 1929 un édifiant document sur le dynamisme prospère de São Paulo, São Paulo, a symphonia da metropole, et sans le savoir encore leur unique film en tant que réalisateurs. L'année du Brésil en France ne pouvait s'abstenir de projeter cette bobine et pour ce faire investit l'Auditorium du Louvre pour une projection soutenue par la musique deLivio Tragtenberg et Wilson Sukorski.
Tous deux originaires de la caféière capitale économique de ces années-là, ils ont conjugué leurs talents de compositeurs, de saxophoniste et de concepteur électronique pour accompagner ces images. Faisant commencer ce moment particulier dans le régulier vrombissement d'un projecteur, ils introduisent peu à peu une illustration littérale – comme les bruits de pas lorsque l'on voit un passant, le tintement d'une sonnette correspondant au geste qui occupe la toile, etc. – qui sera progressivement envahie d'un environnement sonore plus abstrait. Si, bien sûr, les sons synthétiques fusionnent avec le saxophone, on trouvera des jeux de sonorité pouvant à la fois évoquer le Brésil, les années trente, mais aussi les cordes percutées d'un cymbalum fantasmé, peut-être en hommage à l'origine nationale des deux cinéastes.
L'anecdote, pour autant, ne retient pas l'élan expressif de cette aventure portée jusqu'aux habitus musicaux non écrits des trente dernières années, comme les attaques saturées de guitare électrique, par exemple. Cela occasionne un décalage qui souligne d'une certaine bonne humeur la propagande morale du film, érigeant en véritable modèle de vertu la vie bourgeoise de la ville, évoquant le programme d'éducation régénérative des prisons tout en jetant une gentille poudre aux yeux au spectateur – « par le travail ou par hasard, la fortune est toujours à la portée de l'homme » : il ne s'agit certes pas là de cette fortune antique pour laquelle Le Corbusier s'ingénierait à rêver des cités autrement révolutionnaires !
Par ailleurs, les commentaires s'inscrivent immanquablement dans leur époque, comme le rend particulièrement sensible l'épisode de la louange du sport « qui forme une nouvelle génération pleine d'énergie et de volonté… ». Voilà qui ressemble à s'y méprendre au discours d'Oreste à la fin du Pylade de Pasolini (…ça bavarde chez le coiffeur…). Ainsi aura-t-on pu goûter, cet après-midi, à la fascination de deux ambitieux pour l'effervescence abondamment argentée dont à travers leurs quatre yeux l'on n'aperçoit qu'une redite embellie des métropoles européennes. On l'aura compris : rien de passionnant dans cette pellicule sans grand génie, il faut l'avouer.
BB