Chroniques

par bertrand bolognesi

Régis Campo sous la Coupole
Michaël Levinas installe son confrère à l’Académie des beaux-arts

Institut de France, Paris
- 3 avril 2019
3 avril 2019 : le compositeur Régis Campo entre à l'Académie Française
© p.rimond | académie des beaux-arts

Il est un peu moins de quinze heures lorsque nous pénétrons dans la cour de l’Institut de France pour bientôt s’asseoir face à la tribune. Aujourd’hui, « à 15h30 très précises » comme il est écrit, Régis Campo, élu le 17 avril 2017 successeur au fauteuil de Charles Chaynes, est officiellement installé comme membre de la section composition musicale de l’Académie des beaux-arts. Cette cérémonie a lieu en l’absence du président de la République, protecteur de l’Institut de France. Le compositeur français a choisi Michaël Levinas pour le recevoir sous la Coupole. Il revient donc à ce dernier de prononcer l’éloge de son confrère.

Aussi nous est-il présenté comme un créateur libre, indépendant de tout dogmatisme. Il est né à Marseille le 6 juin 1968, d’une mère passionnée d’opéra et d’un père inventeur réputé. Le goût des arts et l’ingéniosité technique sont autant de bonnes fées à se pencher sur son berceau. S’ensuit une belle évocation de Madame Campo (disparue en 1999), qui lui aura donné le chant et la musique, depuis toujours et même avant, pourrait-on dire. Les leçons de piano prise à l’âge de cinq ans le révèlent d’emblée compositeur : il écrit lui-même ses exercices ! L’enfant grandit avec Rimski-Korsakov et Wagner, entre autres, jusqu’à s’identifier à Berlioz durant l’adolescence.

Levinas signale quatre dates importantes dans la carrière du musicien. D’abord 1987. Il a dix-neuf ans. Au conservatoire de Marseille, il entre dans la classe de composition de Georges Bœuf, fondateur du GNEM. Le monde de la contemporaine s’ouvre à lui. C’est le moment où déjà s’érige comme future signature de son langage encore en devenir sa résistance à l’électronique et au systématisme de la technologie. Ensuite, 1993. À vingt-cinq ans, Régis Campo entre au CNSM de Paris. Il y passe une première année dans la classe d’Alain Bancquart, puis s’oriente vers celle de Gérard Grisey. L’orateur nous rappelle que le jeune homme est « réfractaire à toute doctrine, à tout présupposé historiciste ou avant-gardiste »… Le dialogue avec Grisey s’avère tendu et contradictoire, mais fort fécond : c’est dans cet affrontement fondateur que s’élabore son propre langage. Survient 1998 et la rencontre avec l’éditeur Pierre Lemoine. Dans cette maison son catalogue est inauguré par Joy, un octuor de violoncelles (créé à Beauvais, le 30 avril 1998). 2001, enfin. À trente-trois ans, Campo succède à Georges Bœuf au poste de professeur de composition au conservatoire de Marseille. C’est aussi le moment où la carrière prend une ampleur internationale [lire notre critique de l’ouvrage de Thierry Vagne].

Dans un corpus de plus de trois cents œuvres, Michaël Levinas pointe cinq opus qu’il commente brièvement et dont on entend quelques extraits : d’abord Pop-art pour flûte, clarinette, violon, alto, violoncelle et piano (2002) ; puis un premier opéra, Les quatre jumelles (2008), d’après la pièce éponyme de Copi ; Le Bestiaire pour soprano et orchestre, conçu la même année pour Felicity Lott ; Quai ouest, son second opéra (2014), d’après Koltès ; enfin Oh mon Dieu, c'est plein d'étoiles ! pour orchestre, créé ici-même, sous la Coupole, puis publiquement à la Salle Gaveau en mars 2015.

Fidèle aux usages de l’Académie des beaux-arts, Régis Campo gagne à son tour la tribune pour y prononcer l’éloge du maître auquel il succède. Créé en 1967, le fauteuil 7 accueillit Olivier Messiaen, puis Marius Constant en 1992 et Charles Chaynes en 2005, disparu il y a trois ans. « Il a su garder toute sa vie les grands yeux émerveillés des enfants », dit-il du compositeur. Nous goûtons alors une biographie vivante, étayée de citations volontiers souriantes et de ces réflexions propres aux artistes qui parlent d’eux-mêmes lorsqu’ils expliquent un autre. Ainsi suivons-nous l’enfant toulousain, le violoniste d’orchestre, le compositeur, l’homme de radio initiative en ce qui concerna les commandes de la Maison ronde, avec un arrêt sur image : leur rencontre en 1990, lors du Festival de l’Abbaye de Saint Victor à Marseille. Le discours convoque tour à tour Pascal, Mozart, Messiaen, Dutilleux, et même René de Obaldia. La suite des « J’aurais aimé… » est exquisément traversée d’une sympathique insolence, arborée comme un frétillement timide par le conteur, chaleureusement applaudi.

Après que Virginie Vassel-Robinot a donné Prélude pour la flûte de Jade de Charles Chaynes, Yann Arthus-Bertrand remet à Régis Campo l’épée d’académicien, dans un climat bon enfant, voire farceur qui sied admirablement à la personnalité non-conformiste du tout nouvel installé. Félicitations, maestro !

BB