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Chroniques
Rotterdams Philharmonisch Orkest, Yannick Nézet-Séguin
Richard Wagner | Der fliegende Holländer (version de concert)
Lorsqu’en 1840 un trentenaire nommé Richard Wagner s’attelle à la composition du fliegende Holländer, il n’est pas encore le Wagner accompli de « l’œuvre d’art de l’avenir ». De lui l’Europe musicale connaît alors Das Liebesverbot (ou Die Novize von Palermo), écrit en 1834 et créé en 1836, et Rienzi, der letzte der Tribunen, conçu de 1837 à 1840, dont la première eut lieu à l’automne 1842. À se pencher sur la légende du Hollandais, dans la version d’Heine (1834), le musicien inscrit clairement son inspiration dans le romantisme, à la suite de Weber (Der Freischütz, 1821) et surtout de Marschner – Der Vampyr (1828) et Hans Heiling (1832) annoncent le maudit des mers –, une dizaine d’années plus tôt.
C’est vraisemblablement dans l’expérience d’un autre ouvrage de jeunesse, et non représenté du vivant de son auteur, qu’il faudra chercher l’inflexion adoptée ce soir par le chef. Après Die Hochzeit abandonné à l’état d’ébauche, Wagner composait en 1833 Die Feen, opéra en trois actes dont il rédigea le livret d’après La donna serpente de Gozzi. Là encore, la veine est fantastique, s’agissant d’un conte, mais surtout la facture rend précisément compte de l’influence des Italiens, Bellini en tête. Sept ans plus tard, après avoir achevé plusieurs livrets et noté quelques projets qui, les uns et les autres, ne verront pas le jour (comme Die Hohe Braut, curiosité de 1836), mais encore dans la foulée de ce Rienzi encorefort italianisant quoique déjà wagnérien, il signe ce drame musical que les commentateurs considèrent souvent comme son acte de naissance de compositeur – les radicaux d’autrefois attendaient 1845 et Tannhäuser, eux.
À la tête du Rotterdams Philharmonisch Orkest, Yannick Nézet-Séguin souligne à juste titre que Der fliegende Holländer est encore un opéra « à numéros », selon le découpage belcantiste alors habituel. Ainsi sa lecture ne s’embarrasse-t-elle guère de l’amble dramaturgique, se concentrant plutôt dans la « cuisine » de chaque aria. Et c’est là que le bât blesse, car Le vaisseau fantôme n’est assurément plus un opéra italien ! La fragmentation du drame alourdit chaque station sans autre effet que de provoquer l’attente du prochain arrêt : à crémaillère, le passage d’une vallée à une autre n’en finit plus, temps réel et temps ressenti perdent tout espoir de se croiser à nouveau dans la perception qu’on en a. Le décor planté à l’Acte I, on espérait autre chose que son occupation pour les deux suivants. Un sursaut de présence frémit à la fin du duo Erik-Senta (II), puis quelques accents dûment « mis en vitrine » tentent de rappeler que nous sommes à l’opéra, e basta.
Quant à noyer son dépit dans l’écoute passionnée des voix, le plateau ne s’y prête pas volontiers. Emma Vetter possède indéniablement des moyens vocaux qui autorisent le louable soin qu’elle prend du legato au fil d’une incarnation vocale qu’on pourra dire « esthétique » (Senta). D’un timbre riche au grain omniprésent, Franz-Josef Selig campe un Daland qui retient l’écoute. Mais ni le Steuermann, ni Mary ni Erik ne convainquent, et moins encore Evgueni Nikitin en Hollandais. D’abord sur la réserve, son chant s’orne d’un cuivre subtil dans l’aigu, contrôlant un bas-médium qui semble avoir en effet besoin qu’on le fasse. Mais plus il avance dans le rôle moins il s’y trouve à son aise, accusant ici des attaques heurtées, là des tenues instables.
Demeure le Chœur du Nederlandse Opera, efficace et fidèle, sainement investi, tandis que le Rotterdams Philharmonisch Orkest révèle des cordes ternes et un fléchissement de ses cuivres.
BB