Chroniques

par olivier rouvière

Rigoletto
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra de Tours
- 23 octobre 2012
Rigoletto (Verdi) scénographié par François de Carpentries à l'Opéra de Tours
© françois berthon

Point n’est besoin de gros moyens pour trousser un spectacle réussi : c’est ce que nous démontre l’Opéra de Tours avec cette production modeste mais plaisante de Rigoletto. Le dispositif scénique reste allusif : deux grandes parois fuyant en perspective, dont les découpes biseautées rappellent les colombages de la cité tourangelle, suffisent à évoquer la salle de réception ducale, le jardin de Rigoletto, flanqué de sa sombre ruelle, l’antichambre de l’Acte II ou la cambuse du spadassin. Un jeu de rideaux, tantôt à moitié tirés (pour l’apparition de Sparafucile), tantôt carrément fermés (lors du duo de la vengeance), ou faisant écran au fond de scène (l’étreinte torride du Duc et de Gilda s’y inscrit alors en ombre chinoise) scandent les différents tableaux, conférant à l’action une fluidité quasi cinématographique. Une intelligente direction d’acteurs (incluant le probant chœur des courtisans) fait le reste : rien de révolutionnaire ni de très marquant d’un point de vue plastique, mais la crudité de l’intrigue n’en ressort que mieux. On sera un peu plus réservé sur les costumes, qui mêlent la mode du temps d’Henri II (la cour) au costume trois pièces (Rigoletto, affublé de chaussures rouges) et aux robes Empire. On croit comprendre à la fin que ce mélange veut signifier une mise en abîme, mais on n’en est pas sûr et, à vrai dire, peu importe…

La superbe direction musicale de Jean-Yves Ossonce, secondé par un Orchestre Symphonique Région Centre-Tours vif et réactif, se marie parfaitement à la scénographie de François de Carpentries. Cette lecture très « française », très « ligne claire », élastique, attentive au chant, met en valeur les diverses articulations de la partition. Tout en jouant le jeu du lyrisme et du pathos quand il le faut (un Cortigiani à faire froid dans le dos !), le chef français veille à ne pas couvrir les voix et, surtout, à varier les teintes, refusant une tradition par trop mélodramatique qui empèse parfois la partition – le menuet de l’Acte I et l’orage de l’Acte III conservent ainsi toute leur légèreté, ne contrastant que mieux avec la noirceur du trio ou les interventions de Monterone.

Excellent, d’ailleurs, le Monterone de Ronan Nédélec, bien que, là encore, on n’ait pas joué la carte de la grosse basse rocailleuse. La basse, la vraie, sèche et granitique à la fois, ce sera celle de Chul Jun Kim, Sparafucile d’une cruauté tout orientale.

Les trois rôles principaux étaient évidemment plus délicats à distribuer… La Gilda métallique, trop vibrante et appuyée de Sabine Revault d’Allonnes déçoit : non que le soprano manque de technique ou de flamme, mais elle apparaît déjà trop « mûre » pour ce rôle de colombe. Le Duc de Christophe Berry possède un timbre suave et élégant, un joli brin (petit, le brin) de voix ; mais l’interprète semble avoir appris sa partie la veille (en tout cas, la Ballade), ne projette jamais vraiment le son et reste fort emprunté.

Le Rigoletto du Canadien Nigel Smith possède une tout autre présence : ce timbre velouté et soyeux, sans doute trop mat pour le répertoire italien (on l’entendrait plutôt dans Valentin ou l’Oreste de Gluck) s’épand à merveille dans le legato d’Ah, veglia o donna et bouleverse dans son monologue de l’Acte II (du moins, à la fin, le début concitato étant plus laborieux). Paradoxalement, pour une voix au placement si haut, l’aigu n’est pas facile – Smith transpose d’ailleurs le sol terminant Pari siamo !. Il n’est donc pas certain que l’avenir de ce bel artiste se situe du côté du baryton Verdi. Il n’en a pas moins été chaleureusement applaudi par un public qui, à l’évidence, a goûté cette sympathique soirée.

OR