Chroniques

par nicolas munck

Ricercar Consort dirigé par Philippe Pierlot
Ihr werdet weinen und heulen, cantate BWV 103

Laß, Fürstin, laß noch einen Strahl, ode funèbre BWV 198
La Folle Journée / La Cité, Nantes
- 30 janvier 2015
princesse Christiane Eberhardine von Brandenburg-Bayreuth, reine de Pologne
© deutsche fotothek

Dans un programme fait de grands écarts esthétiques et temporels, convoquant tout à la fois les premiers balbutiements baroques, la seconde école de Vienne et les passions romantiques, la figure tutélaire du cantor de Leipzig semble toutefois planer, avec insistance, au-dessus de la Cité des congrès pendant ces quelques jours. Passions, Magnificat, motets, messes, cantates, concertos, suites,Art de la fugue, Offrande musicale… en un mot, difficile d’échapper à la déferlante d’un compositeur manifestement au cœur de ce « programme passions ».

C’est du reste par une proposition funèbre du Ricercar Consort, placé sous la direction de Philippe Pierlot, regroupant la Cantate BWV 103 « Vous pleurerez et vous lamenterez » et le Tombeau de sa Majesté la Reine de Pologne BWV 198 – également connu sous le nom de Trauerode (Ode funèbre) – que nous plongeons les oreilles dans cette édition 2015 de La Folle Journée. Déjà bien intégrée au répertoire de l’ensemble, la cantateIhr werdet weinen und heulen avait fait l’objet d’une parution discographique remarquée en 2007, aux côtés de la Messe en la majeur BWV 234. Si Laß, Fürstin, laß noch einen Strahl, le tombeau créé en 1727 à Leipzig à l’occasion des funérailles de la princesse Christiane Eberhardine von Brandenburg-Bayreuth [notre illustration], épouse de l’Électeur de Saxe, est essentiellement connu pour sa fonction rituelle, il n’en demeure pas moins un véritable chef-d’œuvre de musique funèbre, regorgeant de trouvailles d’orchestration. Notons le choix d’un instrumentarium très spécifique qui associe deux traversos, deux hautbois d’amour, deux violes de gambes, deux luths, un dispositif de cordes et un continuo (couplage clavecin et orgue positif, dans cette version). C’est essentiellement cette dimension orchestrale, marquée par la justesse et le contrôle parfait d’un équilibre quasi discographique, qui retient particulièrement l’attention dans ce riche programme. En lien direct avec l’expression des affects, l’orchestration de Bach, parfois très minimale, joue de tous les contrastes (sections notes tenues aux bois sur orchestre à cordes en pizzicato, effets de tutti densifiés, etc.) et d’une certaine économie de moyen (aria d’alto n°5 dans le Tombeau, exclusivement accompagné par l’ensemble de violes sur conduite harmonique au positif).

Bien que réjouissante sur le papier, avec Hanna Bayodi Hirt, Carlos Mena, Hans Jörg Mammel et Matthias Vieweg, la distribution vocale donne toutefois quelques frayeurs en début de concert. Happées par un étrange effet d’éloignement acoustique en fond de salle, les voix, d’une manière générale assez blanches, légères et déployées dans une écriture virtuose, finissent par se fondre dans la sonorité de l’ensemble instrumental, créant déséquilibre et perte de compréhension du texte. Encore peut-on raisonnablement se demander si une telle salle est adaptée pour la défense de ce répertoire. Certes, une relative sécheresse acoustique peut aider appréhension et intelligibilité, mais elle manque clairement de générosité pour des instruments qui le sont par nature. Le son se fait métallique, presque dénaturé. Toujours dans le domaine du vocal, soulignons par ailleurs le choix plus que judicieux (souvent appliqué aujourd’hui) de réaliser chœurs et chorals à quatre voix solistes avec doublures de l’orchestre, une option qui, loin d’un effet de masse sans doute moins propice à ce répertoire funèbre, donne sobriété et clarté à la conduite de chaque voix.

Dans un concert ou les choix interprétatifs sont toujours menés avec élégance et une gestion parfaite des équilibres (malgré une acoustique peu favorable), nous souhaitons revenir sur deux moments de grâce de la Trauerode. Mention spéciale, donc, pour Wie starb die Heldin so vergnügt !, aria d’alto que porte la voix de Carlos Mena dans un petit bijou de clarté et de dialogue avec les instruments, ainsi que pour Was wunder ists ?, accompagnato conclusif de basse, servi par Matthias Vieweg. Une belle entrée en festival, donc, soutenue par un programme cohérent et solide et l’excellence d’un ensemble dont la réputation n’est plus à faire.

NM