Chroniques

par bertrand bolognesi

Riccardo Muti dirige l’Orchestre national de France
Carmina Burana d’Orff et Symphonie n°2 d’Honegger

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 22 janvier 2005
Riccardo Muti joue Carmina Burana avec l'ONF
© dr

Comme chaque année, le « patron » de la Scala vient diriger l'Orchestre national de France auquel la Maîtrise et le Chœur de Radio France prêtent renfort. Le programme choisi pourra surprendre, si l’on oublie que Riccardo Muti a non seulement enregistré la célébrissime première partie de la vaste fresque des Trionfi du Bavarois Carl Orff, mais l'a dirigea en présence dudit compositeur à Berlin, deux ans avant sa disparition.

Autant le dire tout de go : cette exécution déçoit. D'abord parce que l'œuvre en elle-même ne présente pas d'occasion au grand chef napolitain d'exploiter les qualités qu'on lui connaît. Sa lecture manque du raffinement habituel et la nécessaire scansion des différents ostinati n'est pas habitée de l'enthousiasme et de la puissance nécessaires. Ensuite parce que cette carence est en grande partie due à des approximations répétées des artistes du chœur, accusant souvent des intervalles incertains ; par ailleurs, les séquences latines bénéficient d'une excellente diction, ce qui n'est certes pas le cas des mouvements en langue allemande. Parmi les trois chanteurs que convoque Carmina Burana, le soprano Désirée Rancatore n’encombrera vraisemblablement pas notre mémoire. En revanche, le ténor Hans Werner Bunz use d'une couleur magistralement tenue et réalise des phrases en voix mixte d'une souplesse rare. Initialement prévu, Dietrich Henschel est remplacé par Anthony Michaels-Moore, largement aguerri à la partition (il l’enregistra sous la direction d’André Previn) : le baryton offre les avantages d’une voix très présente, d’une émission confortable, d'une fiabilité exemplaire, d’une généreuse chaleur de timbre ; avec cela, à sa vive expressivité se combine un art de la nuance achevé. Révélant une homogénéité parfaite sur toute l'étendue de la tessiture, le chanteur britannique laisse poindre discrètement ses talents dramatiques, s'adonnant respectueusement à l'exercice périlleux d'alternance entre baryton appuyé et falsetto prolongé dans le Dies, nox et omnia dans lequel il prouve d'une endurance rare. Intelligence du texte, indéniable présence, autant de qualités qui emportent l'adhésion du public.

Avant cette heure malgré tout spectaculaire, Riccardo Muti présentait une interprétation nettement plus intéressante de la Symphonie n°2 H.153 qu’Arthur Honegger écrivit en pleine guerre et que Paul Sacher créerait le 23 janvier 1942 – il y aura demain soixante-trois ans, jour pour jour. Aucune complaisance : la noirceur terrible de l'œuvre atteint l'auditeur directement, grâce à une lecture extrêmement tendue, parfois droite, ne laissant qu'à peine se développer les quelques embryons de lyrisme. Après un premier mouvement particulièrement tonique, le douloureux lancinement de l'Adagio central avance dans une pâte sonore étonnante, offrant au violoncelle solo une énergique élégie. En une grave élégance, les musiciens de l’ONF ménagent un équilibre finement travaillé au bref mouvement qui vient clore une des pages les plus sombres du compositeur.

BB