Chroniques

par laurent bergnach

Rebirth of a nation
performance de DJ Spooky

Festival d'Automne à Paris / Théâtre du Châtelet, Paris
- 25 décembre 2004
Rebirth of a nation, performance de DJ Spooky
© enrique candioti

Artiste new-yorkais connu pour ses écrits, ses œuvres conceptuelles et sa musique, Paul D.Miller, alias DJ Spooky That Subliminal Kid, pose ses platines sur la scène du Châtelet. Adolescents à peine pubères et curieux à l'âge respectable vont découvrir ce soir Rebirth of a Nation, une performance multimédia à base de sons et de projections décalées sur trois écrans voisins, à l'effet parfois hypnotique.

Après un prologue coloré et stroboscopique – défilé de drapeaux nationaux, logo de pièces de jeu d'échecs et points d'interrogation –, nous découvrons les images revisitées d'un film de David Wark Griffith, The Birth of a Nation. Ce film américain en noir et blanc date de 1914 et conte sans paroles, durant deux heures trente, l'histoire de la Guerre de Sécession (1861-1865), de ses origines économiques et politiques aux difficultés sociales des anciens esclaves du Sud après la victoire du Nord. Même si le but avoué de cette œuvre cinématographique est de montrer la violence de la guerre pour mieux la faire haïr, certains ont dénoncé les portraits stéréotypés des Noirs mis en scène, ainsi qu'une apologie possible du Ku Klux Klan. Ainsi, comment ne pas remarquer que, dès qu'on dépasse le stade de la simple figuration, certains acteurs sont des Blancs maquillé en noir ? Le performer nous le rappelle :« face à la résonance de l'encodage et du décodage par les Blancs de la gestuelle des Afro-américains, de leur façon de parler et de leur musique, on voit comment un groupe s'est approprié la place de l'autre groupe dans la culture et la société ». Aujourd'hui, d’ailleurs, Eminem est le rapper n°1.

En ce sens, on se trouve ici devant une version underground de Bowling for Columbine. Là où Michael Moore fait un travail journalistique didactique pour expliquer les causes de la violence armée sur un territoire multiracial, DJ Spooky conçoit une œuvre d'art qui pose sensiblement les mêmes questions mais laisse le spectateur apporter des réponses. Une heure d'images du film original lui suffit à étayer sa réflexion sur les notions de classe et de hiérarchie sociale. Ces images sont retravaillées graphiquement : en y superposant des plans d'architecte, des silhouettes de composants électroniques, des spectres de danseurs (extraits de deux créations du chorégraphe Bill T. Jones), en revenant sur certaines scènes clés du film (la demande en mariage au père Blanc), il peut multiplier les angles de vue sur un passé épouvantable, faire d'un objet émotionnel un sujet de réflexion et donner la clé de cette performance : « Qui contrôle les mémoires ? ». Si l'on sait que le cinéma de propagande s'adresse aussi à l'inconscient, et si les cartons du film nous assurent régulièrement de la reconstruction historique des décors, le martyre de cette jeune fille qui se jette du haut d'un rocher plutôt que de subir l'outrage d'un ancien esclave sera-t-il encore fictif ? Une fois de plus, nous avons la preuve que la violence, la paranoïa et la manipulation sont les ferments du cinéma américain, et la certitude, également, qu'un peuple qui s'est accommodé durant quatre ans d'une guerre fratricide n'aura jamais aucun respect pour la vie d'un étranger.

Moins original est l'aspect musical de la soirée. DJ Spooky emprunte au jazz, à la techno, au hip-hop, à l'ambient ou aux cordes de Steve Reich pour créer une musique synthétique – rythmes percussifs sur fond de musique planante, le plus souvent – de laquelle s'échappe parfois un air d'harmonica, de flûte ou de violon (Daniel Bernard Roumain). La voix intervient avec parcimonie et à des instants stratégiques, comme ces chœurs d'hommes sur la poursuite et la chute évoquée plus haut. Certaines recherches ne sont pas sans séduire, mais l'aspect répétitif de ces trouvailles est vite soûlant. En milieu scolaire, l'expérience rencontrerait certainement un impact plus grand et des applaudissements moins polis.

LB