Chroniques

par marc develey

raga Kirvani
par Shahid Parvez (sitar), Anuradha Pal (tabla) et Jhinnan Frak (tampura)

Théâtre de la Ville, Paris
- 26 novembre 2011
Marcus Simpson photographie le sitariste indien Shahid Parvez
© marcus simpson

Dans les résonnances, encore, de l’accord complexe du sitar, l’alap introductif déplie avec lenteur les degrés du raga Kirvani. Raga nocturne prisé des instrumentistes, il est identique à notre gamme mineure harmonique – à ceci près qu’à le solmiser, mi et la en seraient les pivots essentiels. Chaque position prend sa consistance dans une grande labilité de la note après la frappe, ouvrant des rapports imprévus avec parfois toute l’étendue d’un registre, et, très vite, Shahid Parvez rencontre la totalité de l’ambitus. En quelques traits où la fondamentale (Sa) s’évanouit dans les derniers souffles de la note, et malgré un larsen récurent, le raga prend forme, méditatif.

L’installation progressive de la pulsation délivre ses potentialités plus explicitement rythmiques dans un Jor tout d’abord hésitant et traversé par quelques résonnances de l’alap, rapidement plus assuré. Le mouvement s’installe dans un temps tissé, vibré, fluant, drapé sonore d’une rêverie dense allant se déformant au long des lignes de force du raga et y laissant comme écume une insistance et une vie propre de chaque degré dans sa liaison avec tous les autres. Palier après palier, la pulsation porte à incandescence cette brillante ouverture, dans une exploration éblouissante de toute la dynamique de l’instrument ; pianississimi en gésine de silence et fortissimi percussifs dénouent les dernières préventions et libèrent le raga dont le musicien est bel et bien serviteur. L’intensité de la présence du son lui-même, dans cette cohérence dont raga est le nom, est alors tout à fait palpable. Et c’est le finale d’un jhala qu’aucune rupture n’a introduite, corps donné à une musique qui vient s’incarner dans le corps de l’auditeur avec l’intensité parfois sauvage d’un mur d’eau.

Suivent trois compositions (gat), accompagnées toutes du jeu clair et subtil d’Anuradha Pal aux tabla. La touche du sitariste est joueuse et d’une grande précision. Deux formules thématiques se succèdent : une simple montée du raga avec conclusion sur un degré inférieur et un motif plus bref, inversé – trois degrés en descente, un en remontée. Variés dans des jeux rythmiques souvent complexes, ils s’anastomosent en un final d’après couchant, dans l’ivresse de la toute première nuit.

La seconde composition s’installe dans le soupir de la note. La virtuosité des variations prélude à un parcours descendant du raga dans un climat apaisé, rythme en augmentation dans une pulsation sans faille. Rappels de thème et resserrement infernal de la pulsation referment cette page dans une couleur quasi-dévotionnelle. La troisième composition introduit un nouveau raga, plus proche d’un mode majeur, dans un bref alap d’une grande sérénité. Le matériau thématique donne lieu à variations lyriques entrecoupées de refrains plus nettement instrumentaux – du moins à nos oreilles – dans un son n’hésitant pas devant les extrêmes de la dynamique.

Ce concert envoûtant s’achevait sur une ultime et brève pièce, chanson à la mélodie simple comme celle d’un bhajan (chant dévotionnel) mais savante dans son imagination musicale.

MD