Chroniques

par gilles charlassier

récitals Guillaume Coppola et Simon Ghraichy
musiques du silence et cocktail latino

Lille Piano(s) Festival / Nouveau Siècle et Gare St-Sauveur
- 9 juin 2018
Musiques du silence, un récital du pianiste Guillaume Coppola
© philippe parent

L'intérêt d'un festival, c'est de pouvoir varier les formats. En cela, le Lille Piano(s) Festival s'y entend, et le dernier concert de ce samedi l'illustre éloquemment [lire notre chronique du jour]. Pour son programme Musiques du silence, apprécié à l’auditorium du Musée d’Orsay l’an dernier [lire notre chronique du 25 avril 2017], Guillaume Coppola a demandé une disposition singulière : rassemblé derrière la scène, le public investit en partie le plateau, sur des coussins, au pied de l'instrumentiste baigné d'une douce lumière nocturne, comme dans une bulle extraite de la salle plongée dans la pénombre.

Dans cette atmosphère propice, le voyage aux confins de la musique s'ouvre sur l'un des orfèvres de l'économie sonore, Mompou. Notée Angelico, la Música Callada n°1 distille une fragilité cristalline, comme hésitante au seuil du silence. Après un délicat Prélude de Ravel, le Prélude n°5 du même Mompou dessine un paysage serein, avant un Satie (Gymnopédie n°1) d'une belle nonchalance qui initie un ensemble de pièces apparentées. Le Prélude Op.16 n°4 de Scriabine offre un balancement mélodique se souvenant du Prélude Op.28 n°4 de Chopin que la Música Callada n°15 (Lento – plaintif) évoque comme un voile mnésique, un suaire dont on devinerait les traits, transfiguré dans la décantation modale par Takemitsu avec Pause ininterrompue n°3, A song of love.

Satie revient avec la Gnossienne n°5, d'une transparence presque liquide, au diapason de la retenue intime du récital. Impresiones intimas n°3, Secreto de Mompou effleure le sentiment et l'indicible avec un tact remarquable. Le Clair de lune de la Suite Bergamasque de Debussy s’abandonne à une méditation onirique où l'on sent la caresse argentée de l'astre nocturne sur une eau miroitante, comme un symbole de la psyché. Dernière Música Callada de la soirée, la n°24, Moderato, réchauffe les teintes du clavier, comme une ultime confidence, tandis que la deuxièmedes Danzas españolas de Granados, Orientale, résonne comme un adieu à la mélancolie légèrement distante, avec une infime touche de Goya ou Velásquez. Guillaume Coppola possède cet art subtil et rare de tisser une narration évocatrice en un spicilège de miniatures. Le présent se referme avec le Prélude n°7, Palmier d'étoiles, de Mompou et Feux d'artifice, tiré du Livre II des Préludes de Debussy, comme un éveil progressif depuis une parenthèse suspendue hors du temps, accompagné par la douce intensification de la lumière exhalée par l'ivoire. En bis, la Consolation n°3 S.172 de Liszt propose un baume supplémentaire à nos oreilles, au sortir de cette ouate inspirée.

Dans un répertoire et un registre tout à fait différent, Simon Ghraichy à la Gare Saint-Sauveur proposait, juste avant (20h), un autre exemple de concert hors des sentiers battus. Avec le programme latino de son dernier enregistrement paru chez Deutsche Grammophon, le virtuose à la crinière aussi exubérante que son jeu tâche de s'accommoder de l'acoustique très mat des lieux. Il s'inscrit dans la programmation Ola Cuba! organisée par la métropole lilloise jusqu'à la fin de l'été. Un bel exemple de synergie culturelle à l'échelle d'un territoire.

GC