Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Yusuke Ishii
œuvres d’Essyad, Franck, Jolivet, Lenot et Troncin

The Scots Kirk, Paris
- 1er février 2014
le compositeur Jacques Lenot et le pianiste Yusuke Ishii par Bertrand Bolognesi
© bertrand bolognesi | jacques lenot et yusuke ishii, 2014

De plus en plus présent dans le paysage sans cesse en mouvement de l’aujourd’hui musical, le pianiste japonais Yusuke Ishii retrouve Paris, où il fut élève du CNSM, pour un récital exigeant qui met très haut la barre. Après un disque consacré à six opus d’André Jolivet que ponctue une transcription d’Octandre d’Edgar Varèse par José Manuel López López (ALM Records) puis le tout récent dyptique Jolivet-Lenot paru chez Lyrinx, c’est tout naturellement qu’il ouvre la soirée avec Cosmogonie, un prélude inspiré à Jolivet en 1938 par sa lecture des Mystères de l’Orient (Égypte-Babylone) de Dimitri Merejovski (1866-1941), publiés une dizaine d’années plus tôt, où le compositeur trouva peut-être réponse à ses interrogations sur les origines du christianisme. Nous en goûtons ce soir une interprétation à la fois concentrée et habitée qui révèle peu à peu une étonnante ampleur de son et de souffle.

Nous changeons de génération avec Ahmed Essyad (né quelques mois après Cosmogonie) et son Prélude 1 de 2008 dont Yusuke Ishii transmet la « rigoureuse fantaisie », couronnée par une danse lumineuse. Du Bisontin Dominique Troncin, disparu prématurément à trente-trois ans (1994), nous entendons le très contrasté Ciel ouvert (1993), version définitive de Seul (1990) qui devait introduire d’autres préludes, dédiés à la pianiste et cheffe Dominique My – elle dirigea Là eussent dû être des roses, l’hommage de Jacques Lenot. L’énergie indicible d’Ishii et l’extrême clarté de son articulation contaminent avantageusement le poudroiement nerveux de la pièce, jusqu’en ses halos pédalisés. Main sur la corde, l’obsédante note répétée de la fin est crument interrompue.

Appréciée quelques mois plus tôt sous les mêmes doigts [lire notre chronique du 8 octobre 2012], nous retrouvons la Deuxième sonate de Lenot, dont l’actualité est décidément foisonnante, avec les créations de Suppliques en l’Église Saint-Étienne du Mont [lire notre chronique du 26 septembre 2013], D’autres murmures au Wagner Geneva Festival (3 novembre 2013) et Isis et Osiris [lire notre chronique du 13 janvier 2014], ainsi qu’un vaste corpus pianistique qui ne cesse de s’étoffer. Écrite en 1978 et dédiée à Marcel Marqueste (qui s’est éteint aujourd’hui même), l’œuvre fut créée par Philippe Gueit, alors âgé de dix-huit ans. La présente lecture cisèle nettement l’écriture sérielle des trois mouvements, s’ingéniant plutôt à en aérer la réception qu’à en surenchérir la fougue impérative. Privilégiant souplesse et phrasé, cette version sonne donc très différemment ; sa faconde fluide bénéficie d’un riche ambitus dynamique.

Surprenante plongée finale dans le romantisme tardif, avec Prélude, Choral et Fugue FWV 21 de César Franck (1884), dans une interprétation profondément mélancolique – sans les atermoiements noirs et nus d’un Sviatoslav Richter, toutefois [à écouter sur YouTube]. La fugue gagnera une confondante puissance expressive. Voilà un pianiste à tenir à l’oreille !

BB