Recherche
Chroniques
récital Tanguy de Williencourt
œuvres de Thomas Adès et de Ferenc Liszt
L’aventure du festival qu’Anne-Marie Réby créa dans le jardin des serres d’Auteuil avait fort bien commencée, avec ses deux moments, l’un au printemps et l’autre à la fin de l’été. Puis voilà que le stade Roland-Garros affirmait un besoin de s’étendre qui la vint suspendre en si bel élan. Contraint de quitter son lieu d’élection, l’événement s’exile au parc de Bagatelle, tandis que les projets de la Fédération française de tennis (FFT) provoquent une houle juridique qui décoiffe et mène, pour finir, à l’édification du court Simonne Mathieu, limitant autant que faire se pût la dégradation du site que Les Solistes aux Serres d’Auteuil réinvestit après dix ans. Depuis 2022, les concerts se donnent non plus dans le pavillon des azalées où il avait commencé, mais à l’orangerie qu’il occupe trois jours durant, à l’automne.
Passé la pluie, c’est sous un vent presque agressif que nous traversons les allées bordées du délicat bleu-vert des constructions de Jean Camille Formigé (1898). Installés dans la grande orangerie de brique, nous assisterons à deux récitals, en cette vingt-troisième édition ouverte hier par Gaspard Thomas et par Jean-Marc Luisada. Nous retrouvons Tanguy de Willencourt qui donne ici un programme proche de celui dans lequel nous l’applaudissions cet été, à La Roque d’Anthéron [lire notre chronique du 1er août 2023], s’agissant de six pages qui empruntent à La Suisse S.160, premier volet du triptyque des Années de pèlerinage de Ferenc Liszt. La clarté salutaire du grand Yamaha accueille le recueillement liminaire de la Chapelle de Guillaume Tell, soigneusement phrasé, bientôt très chantant, par-delà une relative crispation des accords obsessifs.
À la volubile tendresse d’Au lac de Wallenstadt, dont la caressante fluidité nous fait percevoir chez l’artiste une douceur bien plus active et vigoureuse que les velléités d’une tonicité souvent nerveuse, succède la délicate Pastorale qu’il articule avec un raffinement bien à lui – le juste poids de la main gauche est tout à fait probant, entre autres qualités. Romantique à souhait, Au bord d’une source n’a rien de serein sous ses doigts qui dessinent intranquille contemplation. Après un Orage un rien noyé par une pédalisation parfois oubliée, nous goûtons une Vallée d’Obermann exquisément poétisée dont convainc le généreux lyrisme.
À vingt-cinq ans, le compositeur britannique Thomas Adès livrait Traced Overhead à son commanditaire, la pianiste Imogen Cooper qui le fit naître le 20 juillet 1996, lors du Cheltenham Music Festival. Trois sections le constituent : Sursum, Aetheria puis Chori. Écrit dans les mêmes années où Ligeti complétait ses Études, Traced Overhead donne à penser, par certains traits communs, bien qu’en surface seulement, à un air du temps d’alors. De la présente exécution, c’est la précision des différentes natures de frappe qui impressionne, plus que la partition elle-même, assez verbeuse [lire notre chronique du 25 février 2007].
Retour à Liszt, pour finir, avec une Méphisto Waltz en la majeur n°1 S.514 paradoxalement lumineuse dans l’univers satanique. Et le plus dangereux des vertiges est bien là : la séduction, puissante ! La redoutable exigence technique en est dominée plus que maîtrisée, ce qui n’entrave point l’élévation fervente du chant, admirable. En réponse à l’enthousiasme du public, Tanguy de Williencourt remercie avec Ständchen, extrait du Schwanengesang D.957 de Schubert transcrit par Liszt. La cajoleuse bonté de l’interprétation saisit l’écoute, y compris dans les échos de la troisième partie. Träumerei de Schumann (Kinderszenen Op.15) vient gentiment conclure cet après-midi et confirmer la douceur du pianiste.
BB