Chroniques

par cecil ameil

récital Severin von Eckardstein
œuvres de Chopin, Liszt, Rachmaninov et Schubert

Palais des Beaux-arts, Bruxelles
- 6 décembre 2006
fort beau récital du jeune pianiste Severin von Eckardstein à Bruxelles (BOZAR)
© dr

Severin von Eckardsteinest le jeune pianiste lauréat de l'édition 2003 du Concours Reine Élisabeth de Belgique. Certains font remarquer que cette victoire, remportée à vingt-cinq ans, a signifié l'envol de sa carrière ; il est vrai qu'il n'avait auparavant fait qu'un enregistrement confidentiel (Janáček, Messiaen et Prokofiev, 2002) et qu'il restait jusqu'alors peu connu. Ce récital réunit des pièces accessibles au plus grand nombre, en même temps que des œuvres maîtresses passées entre toutes les mains : deux Moments musicaux de Schubert, un Impromptu, six Préludes de Rachmaninov, une page de Liszt et les vingt-quatre Préludes de Chopin. Pour autant, von Eckardstein s'est distingué sur d'autres scènes dans des répertoires moins traditionnels, que ce soit dans Schumann et Prokofiev ou encore Scriabine. Cette fois, l'on pouvait bien se demander ce qu'apporterait une interprétation de plus de ces morceaux joués et enregistrés tant de fois –l'occasion de distinguer la singularité de jeu du jeune homme.

Et l’on n’est pas déçu… C'est peut-être Schubert qui est le plus extraordinaire : dès les premières notes du Moment musical en ut majeur D.780 n°1 (Op.94), tout est dit de l'atmosphère très intime et fort chantante de la musique de chambre, dans ce qu'elle a de plus caractéristique. Étonnamment sobre, le jeu est rapide et nerveux, tout en étant dépourvu de sécheresse grâce à un legatonourri. L'articulation du propos est pourtant nette, même dans le Moment musical en la bémol majeur n°2, joué à traits fulgurants dans une dynamique surprenante qui s'exprime beaucoup par demi-teintes. Severin von Eckardstein est en effet capable de faire sonner un Steinway de concert comme un Pleyel ou un Bechstein du XIXe siècle, en combinant pédale douce (dont il use beaucoup) et toucher tout retenue et précision. C'est dépouillé, dépourvu de toute brutalité, mais intense et finalement magistral, y compris dans l'Impromptu en la bémol majeur D.899 n°4 (0p.90) où la douceur du toucher jamais n’empêché le pianiste de placer nettement ses accents.

Joué après l'entracte, son Chopin est également splendide. Certes, le rubato important des premières pièces nuit à l'éloquence et à la simplicité de cette musique, mais l'artiste fait preuve d'une grande palette de couleurs et de nuances, alternant avec bonheur recueillement et expressivité. À l'écoute d'un jeu toujours précis et chantant, le plus souvent rapide, on est entraîné malgré soi, sans jamais y être forcé.

Avec Rachmaninov et Liszt, on entre dans un univers différent où le romantisme est sensiblement plus échevelé, pour ne pas dire exubérant. Quand on a les interprétations de Sviatoslav Richter, Grigori Sokolov ou Boris Berezovski en tête, on s'attend à une puissance volontiers démonstrative. Aussi n'est-ce pas l'approche de Severin von Eckardstein, on s'en doute : c'est peut-être même la première fois qu'on entend jouer Rachmaninov avec sourdine ! Il y a là un choix esthétique qu'il ne convient pas de juger ; tout au plus peut-on penser que telle n'était forcément l'intention du compositeur. Reste que l'Allemand étonne dans le répertoire russe où il révèle un grand sens de la cadence et un art du contraste qui conférèrent à l'œuvre une indéniable majesté indéniable. Dans un discours tour à tour intime et puissant par la succession, un jeu tant précis que preste, une richesse harmonique assez confondante, l'interprétation est excellente.

Liszt qui appellera le plus de réserves. Malgré une puissance indiscutable, le musicien y manque l’éloquence propre au compositeur – Après une lecture de Dante (fantasia quasi sonata) extrait des Années de pèlerinage. Il abuse d'effets dynamiques et rythmiques qui rendent son jeu souvent trop doux, assez sec et peu naturel, là où l’on attendrait plus de franchise et de simplicité. En bis, il donne un Scriabine empreint de délicatesse et un Mendelssohn avantageusement expressif. Il nous tarde déjà d'en goûter plus !

CA