Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Philippe Cassard
Debussy, Grieg, Koechlin, Mompou et Mendelssohn

Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon / Corum
- 23 juillet 2014
le pianiste Philippe Cassard en récital au Festival de Radio France Montpellier
© jean-baptiste millot

Pas de thématique, de mot d’ordre, de sujet imposé, si ce n’est la trame que Philippe Cassard lui-même érigea en maîtresse de son récital montpelliérain. Il s’en explique à travers un bref préambule (rendu d’autant plus nécessaire qu’il a modifié le menu annoncé). À la suite d’une émission de radio durant laquelle Jean-François Heisser commentait la musique de Federico Mompou, il eut envie d’en travailler quelques pièces. Pour finir, c’est Mompou qu’il met au cœur de ce programme, avec six de ces pièces pour piano, mais encore en représentant le goût affirmé du maître catalan pour certains musiciens (à l’exclusion de Beethoven et de Mozart, par exemple).

Le pianiste commence donc par quelques extraits des Lieder ohne Worte de Felix Mendelssohn. À l’Andante tranquillo en si bémol majeur Op.67 n°3, il ménage une ciselure clarteuse et une grâce toute intérieure. Au lyrisme tendre de l’Allegro non troppo en mi bémol majeur Op.53 n°2 succède la pure merveille d’angoisse qu’est l’Allegro leggiero en fa # mineur Op.67 n°2, parfois appelé Les illusions perdues, rendu haletant par son caractère fragmenté, le saisissant effet de creux de son incomplétude, ici idéalement assumé. D’une frappe plus légère il dessine l’aimable Kinderstück (Allegro vivace en la majeur Op.102 n°5) et conclut par le nerf régulier du Spinnerlied, rouet fameux et délicatement nuancé du Presto en ut majeur Op.67 n°4.

Parce qu’il entend dans la production de Charles Koechlin – trop rare Koechlin ! – cette « démarche intérieure, mélancolique et mystérieuse de Mompou », Philippe Cassard donne deux pages de ses Heures persanes Op.65. Ainsi enchaîne-t-il dans une lueur subtile Clair de lune sur les terrasses, où l’on croit entendre déjà Ohana, aux saveurs fugaces d’À l’ombre près de la fontaine de marbre. Le voici rendu à l’essentiel, à savoir son cher Mompou, dont il fait entendre Cancion y danza n°6, romance facile d’inspiration tropicale (1942). Retour dans le temps avec quatre des Préludes de 1928. L’étale rêverie de Pour la main gauche (Moderato cantabile espressivo) n°6 fait place à la surprise de Palmier d’étoiles (Deciso) n°7, éclatant. Une nouvelle fois le toucher de Cassard suggère Schumann dans le plus stricte Con lirica espressione n°8 où il déploie une opulence bien venue. Enfin, il distille une dynamique contrastée mais sans heurt à l’étrange Languido n°9.

Mompou aimait Grieg, paraît-il. Voici donc le moment de plonger dans les Lyriske stykker écrites par le Norvégien entre 1867 et 1901 – non, pas toutes, Philippe Cassard en a sélectionnée cinq (il y en a plus de soixante…). On retrouve son exquise sensibilité dans Halling Op.47 n°4 (Allegro en ré majeur), une certaine densité dans le douloureux Aften på højfjellet Op.68 n°4 (Soir sur la montagne, Andante espressivo en mi mineur) et les nimbes intrigantes de Klokkeklang Op. 54 n°6 (Volée de cloches, Andante en ut majeur). Si Trolltog Op.54 n°3 (Marche des trolls, Allegro moderato en ré mineur) convainc moins sous ses doigts, le lisztien Bryllupsdag på Troldhaugen Op.65 n°6 (Jour de noces à Troldhaugen, Tempo di marcia un poco vivace en ré majeur) bénéficie d’une nuance raffinée, par-delà son côté « générique de fin ».

Claude Debussy, que l’interprète voit proche de l’univers de Grieg, aura le dernier mot. D’un style encore ancré dans un romantisme finissant, la Ballade de 1890 avance déjà vers une fluidité plus diaphane. Si la lecture de la troisième pièce des Estampes (1903), La soirée dans Grenade, affirme une joliesse presque ennuyeuse, quand Feux d'artifice (Préludes, Livre II n°12) est moins probant encore,La terrasse des audiences du clair de lune (Préludes, Livre II n°7) renoue avec une saisissante nécessité interprétative. Ce récital en demi-teinte sera diffusé par France Musique le 9 août à 12h35 ; à bon entendeur…

BB