Chroniques

par david verdier

récital Philippe Bianconi

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 29 avril 2011

Pianiste assez discret sous nos latitudes, Philippe Bianconi semble porter comme une malédiction sa médaille d'argent au concours Van Cliburn dans les années quatre-vingt. Le public du Théâtre des Champs-Élysées n'était pas venu en nombre suffisant, ce soir-là, pour offrir un auditoire digne de ce nom au pianiste français. Tout au plus, se contentera-t-on de remarquer que l'enthousiasme et la concentration faisaient bon équilibre avec le faible nombre de fauteuils occupés. L'entrée en matière proposait les deux Rhapsodies Op.79 de Brahms – choix délicat pour ouvrir un programme, surtout quand le pianiste se heurte comme ici à la tentation du « gros son » compact. Dans celle en sol mineur, les rubatos émollients se déplient sur un fond dynamique très sonore, accentué par des effets de pédale envahissants. Le second thème manque de s'arrêter à chaque mesure, noyé dans un halo sonore assez artificiel. La deuxième rhapsodie (en si mineur) s'ouvre en agrégats de notes hirsutes avec une main gauche instable au possible. Beaucoup de son mais sans charpente, comme si la souplesse de l'avant-bras conduisait une ligne délibérément trop souple malgré une intensité et un engagement évident.

Cette dynamique un peu uniforme disparaît heureusement quelque peu dans les Davidsbündlertänze de Schumann. Philippe Bianconi trouve ici un terrain à la mesure de son jeu sans affectation ni vanité. On reste admiratif devant la capacité de l’artiste à jouer cette pièce de mémoire (comme toutes celles qui composent ce récital, d'ailleurs). On en viendrait presque à regretter cette nécessaire concentration qui produit par endroits un son plus resserré et digital que réellement schumanien, au sens d'Alfred Cortot ou Walter Gieseking pour ne citer que ces deux noms.

C'est dans Ravel que le pianiste français exprime sa touche personnelle la plus sensible. Son Gaspard de la nuit est impressionnant d'à propos et de vérité poétique. Ondine libère ses harmonies vibrionnantes avec une justesse confondante, sans que la tension ne se relâche d'un bout à l'autre. La glauque lumière fantomatique de Gibet est parfaitement dosée, ainsi que la course échevelée de Scarbo – à la fois virtuose et fantasque. L'enchaînement avec le Prélude Op.45 et le Scherzo Op.31 n°2 de Chopin rappelle un ton beaucoup plus convenu ; il est vrai, que de pareilles « autoroutes sentimentales » ne peuvent guère surprendre les habitués de ce genre de récital.

Il ne faut pas moins de quatre bis pour ramener la ferveur du public à un niveau convenable. Poissons d'or (Debussy) et la Toccata du Tombeau de Couperin (Ravel) se placent bien au-dessus de la nouvelle Étude en fa mineur de Chopin et, surtout, de la cinquième variation des Études symphoniques (1837) de Schumann, lentissime et privée de couleurs.

DV