Chroniques

par cecil ameil

récital Maurizio Pollini
Maurizio Pollini joue Beethoven

Palais des Beaux-arts, Bruxelles
- 12 décembre 2005
Maurizio Pollini joue Beethoven au BOZAR (Bruxelles)
© mathias bothor | deutsche grammophon

À soixante-trois ans, Maurizio Pollini est l'un des plus grands pianistes de sa génération. Cet homme joue et grave depuis les années soixante, le plus souvent seul ou avec orchestre en concerti, servant des registres multiples. Chopin, bien sûr, mais aussi, Schumann et Schubert, Brahms, Bartók ou Prokofiev passent régulièrement entre ses mains. Beethoven est un de ses compositeurs de prédilection –on se souvient notamment de sa version des quatre dernières sonates dont l'enregistrement remonte aux années quatre-vingt.

Le récital de cette semaine est entièrement dédié au pianiste et improvisateur de génie que fut le musicien allemand, avec les Sonates n°1 et n°3 en première partie, et la Sonate « Hammerklavier » en seconde. La structure en quatre parties reste la même dans les trois cas, avec une introduction et un final Allegro qui encadrent unAdagio et un Scherzo ou Menuetto. Pour autant, les trente ans qui séparent l'opus 106 de l'opus 2 font la différence : d'un côté, de brillantes pièces de jeunesse au rythme endiablé, mais à l'écriture fondamentalement simple ; de l'autre, une œuvre considérable, tant par sa longueur inhabituelle que par sa variété.

Le jeu de l’Italien est immédiatement reconnaissable, à double titre : la rapidité de l'exécution et le foisonnement harmonique autour du registre médium, dans unlegato continu. Dès les premières notes de la Sonate en fa mineur Op.2 n°1, le feu couve, tandis que le flot est incessant et presque sans respiration. C'est toujours nerveux, parfois sec, bien que le chant ne se démente jamais. Ainsi, l'artiste cède souvent à de petites accélérations en reprise de phrases qui traduisent une impatience surprenante sans laisser de repos à l'auditeur. L'écho de la pédale est palpable et tend à saturer le son d'harmoniques, comme des cloches. Toute la première partie transmet comme une profusion sonore en apnée.

Ce n'est qu'à l'Adagio de la Sonate en ut majeur Op.2 n°3 que l'interprète calme un peu le jeu, malgré quelques tentations persistantes. Il nous semble pourtant que la révélation vient dans le dernier mouvement, Allegro assai, qui offre un condensé de dynamiques et de nuances dont l'exposé n'était pas évident jusqu'alors.

La suite du programme confirme et magnifie cette tendance. Aucun doute que Maurizio Pollini est à son affaire dans l'énoncé de discours multiples qui caractérise la Sonate en si bémol majeur Op.106 n°29 « Hammeklavier ». Dans l'Allegro initial il se jette comme dans une arène un gladiateur furieux, mais la brutalité reste contenue, alors qu'ensuite le Scherzo (assai vivace) sera franchement débridé et impressionnant de férocité. Très long et nettement apaisé, l'Adagio sostenuto demeure néanmoins sous tension, ce qui permet au pianiste de glisser sans rupture vers leLargo et de nous entraîner dans la continuité vers le final (Allegro risoluto).

Cette dernière partie est phénoménale, construite comme un enchevêtrement de voix en canon qui semblent totalement improvisées. À l'image d'un matériau brut sur le métier, les contrastes sont saisissants ; retentissent sans cesse ruptures, échos et reprises multiples. Aucune halte n'est permise, malgré le point d’arrêt qui rompt le parcours en deux tonalités distinctes. Impressionnante et déroutante à la fois, cette interprétation affirme l’interdiction de tout relâchement dans le désir de rendre fidèlement l’essentielle profusion du propos musical. On s'en serait douté : Pollini, qui n’a rien perdu de sa verve légendaire, ne laisse pas indifférent.

CA