Chroniques

par gilles charlassier

récital Mūza Rubackytė
œuvres de Čiurlionis, Prokofiev et Schumann

Les concerts parisiens / Salle Gaveau, Paris
- 11 mars 2016
Mikalojus Konstantinas Čiurlionis : Château de conte de fées, 1909
© dr | čiurlionis – château de conte de fées, 1909

Dans le programme qu'elle a concocté pour la Salle Gaveau, Mūza Rubackytė a choisi d'associer les pièces sous le signe du double. Torturée jusqu'à la folie, la figure de Robert Schumann ouvre naturellement le récital. Arabeske Op.18 se distingue d'abord par une fluidité qui n'accuse pas la dialectique thématique. Sans verser dans l'anecdote, la simplicité de la page se satisfait de soi-même : ainsi la conception cyclique de l'écriture fonctionne-t-elle comme un prélude au corpus évidemment plus conséquent du Carnaval Op.9.

Entre les poses lunaires d'un Eusebius et l'énergie parfois capricieuse d'un Florestan, disséminées au fil du recueil, le sens des contrastes n'a pas besoin de renier l'élégance de la sonorité, qui fait danser les évocations successives d'une manière presque aérienne, nourrie d'un instinct de la construction. Arlequin, Chopin, Paganini et Clara s'ébaudissent le long des notes et des humeurs, détaillées avec une plénitude rayonnante et saisissante, sinon captivante. On retient, par exemple, la stature de la Valse noble qu'on retrouve plus loin chez sa cousine allemande, charpentée, tandis que la Marche des Davidsbündler contre les Philistins en guise de coda ne dissimule pas sa dette envers Beethoven. La soliste franco-lituanienne restitue de la sorte un kaléidoscope vivant qui se passe d'artifices.

C'est à un compositeur de son pays natal qu'elle consacre le début de la seconde partie. Également peintre, dans des proportions productives au demeurant équivalentes, Mikalojus Konstantinas Čiurlionis – que l'interprète a plus d'une fois défendu jusque dans une discographie sensible aux génies mésestimés, à l'image de son dernier enregistrement consacré à Vierne – assume la filiation chopinienne dont le modeste spicilège retenu permet de se faire une idée. Plus développé que les brefs numéros 239 et 294, esquisses à l'instar de certaines pages de l'illustre prédécesseur, le Prélude VL 197 déploie une palette pianistique soucieuse de continuité. Les ressacs du Nocturne VL 178 préservent une certaine concentration qui laisse au VL 183 la licence de déployer généreusement son classicisme romantique.

Enfin, Sergueï Prokofiev invite à un ultime effet de miroir dans sa Sonate Op.82 n°6. Dès l'Allegro moderato, la juxtaposition inspirée des séquences creuse les récurrences des rythmes et des motifs selon le génie propre de la partition. Le piano n'est jamais brutalisé et, sans jamais s'écarter de l'essentiel, la précision du jeu fait l'économie de l'agressivité métallique parfois accréditée dans ce répertoire. Le tourbillon de l'Allegretto confirme cette attraction irrésistible, aussi bien qu'un Tempo di valzer lentissimo qui ne s'alanguit pas inutilement. Merveille qui relie jusqu'à les confondre le bouillonnement du premier thème avec le retour de celui du mouvement initial, refermant une boucle aussi admirable que secrètement organisée, le finale Vivace libère une vitalité que ratifient les bis lisztiens, non moins spéculaires, à l'image de la conclusive Isoldes Liebestod tendue vers son extase suprême (Wagner/Liszt).

GC