Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Ludovic Tézier
Thuy Anh Vuong, piano

œuvres de Berlioz, Duparc, Fauré, Ibert, Schubert et Schumann
Opéra national de Paris / Palais Garnier
- 15 janvier 2017
Le baryton Ludovic Tézier donne un récital au Palais Garnier (Paris)
© elie ruderman

La série de récitals chantés se poursuit au Palais Garnier, avec le baryton français Ludovic Tézier, qui a choisi de croiser les répertoires : une première partie romantique et en langue allemande, une seconde dans notre idiome et aux confins de cette esthétique qui n’en finit plus de finir – à ceci près qu’à la croisée des chemins, en 1932, Jacques Ibert a composé pour le réalisateur austro-hongrois Wilhelm Pabst (1885-1967) les quatre Chansons de Don Quichotte qui prirent place dans le film Don Quichotte paru l’année suivante, où l’anti-héros de Cervantès est interprété par Chaliapine.

Franz Schubert, pour commencer, avec Franz von Schober (1796-1882) et An die Musik D.587, quatrième des Vier Lieder Op.88 de 1817. La prononciation de Ludovic Tézier s’affirme dans une douceur chaleureuse, au fil d’un chant fervent qui ouvre avantageusement le programme. Le grand Goethe, avec Meeres stille D.216, conçu en 1815 et révisé en 1821. Le soin de la diction, l’impact du timbre, le legato nourri et l’aisance de la respiration paraissent idéaux à cette calme mer, n’était l’inquiétude décrite (« Todesstille fürchterlich!… »), complètement absente. Du Winterreise D. 911 de 1827 (poèmes de Wilhelm Müller), nous entendons le Lied introductif, Gute Nacht. Sur toute la première strophe, la prononciation se relâche vertigineusement (consonnes doubles, finales, etc.), jusqu’à presque perdre son identité. Nuance et onctuosité sont au rendez-vous, superbes, avec un aigu d’une appréciable souplesse, mais ne parviennent à convaincre, de même que la véhémence un rien surjouée de la pénultième et les éclats lyriques de la dernière.

Douze ans après la disparition de Schubert, Robert Schumann se lançait dans une année extrêmement productive de Lieder. Après un premier Liederkreis Op.24 composé sur neuf poèmes d’Heine durant les premiers mois de 1840, un second cycle, Liederkreis Op.39 sur douze d’Eichendorff, trouve la pagevers la fin du printemps. Deux extraits de ce recueil encadrent ce soir deux échappées vers Dichterliebe Op.48, célèbre cursus de seize Lieder d’Heine dédié à la bien aimée Clara. Le nostalgique In der Fremde (Op.39 n°1) voit le baryton renouer avec une langue plus ferme ; Tézier habite un chant nettement plus investi dans le texte, avec la complicité de Thuy Anh Vuong, pianiste au jeu infiniment nuancé qui distille admirablement l’inflexion romantique et ses couleurs souvent désespérées. L’étrange et savant cristal par lequel s’amorce Hör' ich das Liedchen klingenn (Op.48 n°10) ne contredit pas la bonne impression faite jusque-là par cette excellente musicienne. D’une douceur irrésistible, la voix invite une chanson d’autrefois qui jamais n’arrive, en un accent de fatalisme las et toujours douloureux, à peine signalé par un tempo plus lent encore que d’accoutumé. Le départ d’Ich hab' im Traum geweinet (Op.48 n°13) saisit par l’intimité soudaine de la voix, nue, dont l’intonation est confirmée par cinq accords lapidaires du piano. Ce récitatif noir d’un abandonnique incurable en transmet l’anxiété à l’écoute. Trop alangui, Mondnacht (Op.39 n°5) accuse une sorte d’affectation distante qui en dit le contraire.

Retour à Schubert avec son Schwanengesang D.957, ensemble de quatorze Lieder réunis en un recueil posthume par l’éditeur (et compositeur) Tobias Haslinger (1787-1842) : les artistes en ont élu Ständchen, sérénade du moins illustre Ludwig Rellstab (1799-1860), où brille le style étonnamment pianofortiste de Thuy Anh Vuong. Les libertés prises par le chanteur avec la métrique et l’appui trop franc des motifs instrumentaux entravent toutefois la prégnance de l’interprétation. La première partie de la soirée est conclue par Goethe et un Erlkönig D.328 (1815) qui laisse sur sa faim – quelques parlando détimbrés (« es ist ein Nebelstreif »), une déconcentration et même quelques aléas de justesse (« …das ächzende Kind », entre autres).

La suite est française, nous l’avons dit.
Elle commence par Quatre Chansons de Don Quichotte de Jacques Ibert. Surprise est grande de constater le changement radical de toucher grâce auquel Thuy Anh Vuong cisèle un accompagnement en rêve d’espagnolade. On retrouve la facilité de Tézier à servir la musique française, par l’intelligibilité confondante comme par la couleur. La résistance d’un aigu doit être prise comme indice d’une légère fatigue qui révèle la cause des imperfections du chapitre précédent. La tendance à l’élasticité du tempo ne sied guère à la Chanson à Dulcinée, et celle du Duc laisse percevoir un discret enrouement – hiver, vous n’êtes qu’un vilain… La maîtrise technique autorise cependant une mort magistrale, quasiment opératique.

L’année où le film de Pabst sortait sur les écrans français, au Père-Lachaise l’on étendit définitivement Henri Duparc. Ludovic Tézier et Thuy Anh Vuong ont choisi deux de ses dix-sept mélodies, empruntant à Baudelaire. Le baryton ménage un gracieux moelleux à L’invitation au voyage (1870) où le miroitement pianistique pourrait tanguer plus sous la vague. Il faut saluer l’égrainement final du motif répété, véritable scintillement sur l’onde. Par sa relative raideur, l’interprétation de La vie antérieure (1884) ne rivalise pas avec L’invitation. Sept ans après la disparition de Jean de La Ville de Mirmont au début de la Grande Guerre, Gabriel Fauré puisait quatre poèmes du recueil L’horizon chimérique dont il composait un cycle sous le même titre (Op.118, 1921). Ludovic Tézier se montre solaire dans La mer est infinie, servi par une Thuy Anh Vuong inspirée. Je me suis embarqué danse comme il faut, soutenant la caresse vocale qui n’escamote pas l’élégante gravité des vers. Après l’étale méditation Diane, Séléné, où triomphe la souplesse de l’émission, Vaisseaux, nous vous aurons aimés conclut fort joliment. En 1879, Fauré écrivit Trois mélodies Op.23 dont la première s’approprie la poésie de Sully-Prudhomme : on goûte l’approche expressive des Berceaux. L’île inconnue, extrait des Nuits d’été Op.7 de Berlioz (1834/38) referme le cahier.

Vraiment ? Ce serait sans compter avec la générosité du soliste qui offre trois bis, couronnant son récital par O du mein abend Stern, puisé dans Tannhäuser (Wagner, 1845). Merci !

BB