Chroniques

par marc develey

récital Filomena Moretti

Théâtre des Abbesses, Paris
- 10 avril 2010
la guitariste Filomena Moretti en récital au Théâtre des Abbesses, Paris
© dr

Au jeu d’ordinaire si subtil, exigeant et délié de Filomena Moretti [lire notre critique du CD couronné d'une Anaclase], il aura fallu du temps, ce soir-là, pour trouver son espace. Dans un début de concert très tendu, difficile parfois, seule la Sonate en la majeur K 322 de Domenico Scarlatti, donnée en ouverture, nous a semblé rencontrer quelque chose de cette grâce que l’on connaît à la guitariste. Très chantée dans ses premières mesures, elle se déroula certes sans génie, mais non sans justesse, dans un climat expressif qu’animaient un léger rubato, une articulation soignée et des appoggiatures précises.

Pour autant, au décours des deux opus suivants - du même compositeur, les sonates K 380 en mi majeur et K 159 en ut majeur (transcrite en ré majeur)-, imprécisions, maladresses techniques et un son parfois acide, aux aigus pas toujours maîtrisés, installèrent l’écoute dans une tension croissante à laquelle l’artiste ne nous avait absolument pas préparés. Et de l’ensemble de la Suite pour luth en mi mineur BWV 996 de Johann Sebastian Bach (transcription Filomena Moretti) qui refermait cette première partie de concert, nous ne garderons que l’énonciation mystérieusement lointaine de la Sarabande, installée dans la patience de la note malgré un son à la place parfois un peu trop mobile.

En contraste avec les transcriptions précédentes, la seconde partie de soirée était tout entière consacrée à la musique originale pour guitare. La musicienne sut ici s’installer avec toujours plus de confiance, pour retrouver en toute fin la présence si habitée de son jeu. La Rêverie, nocturne pour guitare Op.19 de Giulio Regondi faillit nous capturer. D’une grande émotion, le son, toujours très texturé, s’habilla d’une étonnante tendresse, avant que quelque chose de raide ne nous en éloigne, n’était, en toute fin, une générosité confondante de douceur dans le velours de l’élégie.

Le Grand solo Op. 14 de Fernando Sor, quoique maîtrisé sur la longueur, fut sans doute servi d’un climat ici et là par trop mozartien pour nous y accueillir longtemps – nous en appréciâmes pourtant la ponctuation tragique de certains accords. D’une belle intensité dramatique en ses premières notes, la Fantaisie hongroise de Johann Kaspar Mertz déplia la variété de ses styles jusqu’à la czardas finale : accords chantés dans un piano subtil installé le temps d’une belle méditation, amble chopinien de la phrase, labilité du jeu dans les instants de plus grande virtuosité. Assurément un beau moment.

Mais rien encore qui valût Un Sueño en las foresta (Un songe dans la forêt) d’Agustín Barrios Mangoré, donné dans un climat d’un romantisme intense sans qu’il soit jamais forcé. Les notes répétées portèrent d’emblée le chant dans un climat d’une rare intensité onirique. Servies par un pouce à la fois précis et charnel, les arpèges graves délivraient autant de gouttes de tendresse à un air s’allant perdre souvent avec aisance et naturel jusques aux limites du son, installant la salle dans un silence et une attention qu’on ne connaît qu’aux grands moments de musique.

Portée par cet extraordinaire travail, Filomena Moretti nous offrait en bis un remarquable Asturias d’Isaac Albéniz, dans un tempo d’emblée impressionnant, mais d’une virtuosité tout entière au service d’une grande intériorité. La première partie, bellement installée en sa reprise dans un son brumeux, s’en alla se délier dans un morendo résolu, pour laisser place à la rêverie centrale, comme venue de très loin, dans une énonciation soignée, bouleversante parfois. Un large ritardando dans le temps retenu fit place au retour du thème, dans un pianississimo étonnant, le tempo plus large allant peu à peu accelerando et crescendo. Une interprétation bousculant les habitudes, d’une très haute maîtrise, et redonnant à l’œuvre cette musicalité que trop de répétitions ne permettent plus d’entendre. Nous sortîmes conquis et reconnaissants.

MD