Chroniques

par bertrand bolognesi

récital du guitariste Walid Dhahri
Arcas, Barrios, Dyens, Giuliani, Mertz, Paganini, Rak et Sor

Octobre musical de Carthage / Acropolium
- 18 octobre 2013
la baie de Tunis et les monts de l'Atlas : Octobre musical de Carthage !
© bertrand bolognesi

Un Acropolium bondé accueille ce soir le guitariste tunisien Walid Dhahri, dans le cadre de la vingtième édition de l’Octobre musical de Carthage, un festival dynamique et tous azimuts qui se déroule depuis le 9 et s’achèvera le 30 – soit quelques trois semaines qui explorent principalement le répertoire classique, parfois revisité pour une mise à disposition à l’usage d’un instrumentarium inhabituel (Couperin par un trombone et une batterie, pourquoi pas ?), mais encore la danse, le wadaiko (tambour du Japon), le fado, etc. D’emblée la jeunesse du public étonne : contrairement à nos salles, la majeure partie est constituée d’auditeurs âgés de quinze à trente ans qui trouvent ici un hors-temps au quotidien, une halte particulièrement salutaire dans un instable contexte socio-politique dont il paraît vain de chercher à deviner les lendemains.

Mais avant de pénétrer dans l’ancienne Cathédrale Saint-Louis, nous découvrions cet après-midi le somptueux palais Ennejma Ezzahra construit par le baron Rodolphe François d'Erlanger en 1911 à Sidi Bou Saïd. Outre son architecture andalouse et sa riche décoration arabe (sans parler de ses vastes jardins), la villa abrite depuis novembre 1992 le Centre des Musiques Arabes et Méditerranéennes (CMAM), s’appuyant sur les recherches du baron lui-même, ethnomusicologue passionné et collectionneur d’instruments traditionnels qu’on y peut admirer – ainsi que quelques-unes de ses toiles, orientalistes ou non, puisque d'Erlanger, également peintre, tenait atelier dans ladite demeure. Les activités de sauvegarde (musée et Phonothèque Nationale) et de création (lutherie et concerts) sont au cœur du Centre qui accueille, entre autres, les festivals Mûsîqât, dédié aux musiques traditionnelles, et Jeunes virtuoses, mais encore de nombreux moments de musique spirituelle arabe classique.

Né en 1976 à Tunis, Walid Dhahri s’est d’abord destiné avec succès aux sciences physiques, tout en suivant les leçons de guitare d’Ahmed Achour au conservatoire de Tunis puis d’Anne Smida à celui de Sidi Bou Saïd, avant de décider que la musique serait sa vie. Soliste à présent reconnu, il est aussi pédagogue, à la tête de sa propre école. Son récital s’articule selon la chronologie des œuvres, à partir de la fin du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours.

À l’instrument de l’intime la hauteur et la coupole de l’Acropolium offrent l’acoustique idéale. Du Catalan Fernando Sor nous entendons Introduction et variations sur « O cara armonia » de Mozart (Die Zauberflöte) Op.9 qui séduit par la fluidité du jeu. La Grand sonata eroica Op.150 du compositeur napolitain et guitariste Mauro Giuliani développe une ornementation encore galante sur le souvenir d’une facture classique plus rigoureuse dont Walid Dhahri se fait le témoin inspiré (le legato de la ritournelle…). Après les contrastes précieux des Variations sur « Le carnaval de Venise » de Niccolò Paganini, gentille romance parfaitement servie par des doigts de velours, la Fantaisie hongroise extraite des Trois morceaux Op.65 de Johann Kaspar Mertz (1806-1656) chante son aimable jubilation d’ailleurs plus tzigane qu’hongroise, selon la confusion d’usage à l’époque. Le monde de la guitare, comme celui de la harpe ou de l’orgue, est traversé de compositeurs-interprètes qui écrivirent pour leur instrument (Mertz était flûtiste et guitariste, par exemple). Ainsi de Julián Arcas (1832-1882) qui enrichit son répertoire de pièces de son cru, telle la Fantasia Punto de la Habana sobre « El pano o sea » et la Polaca fantastica, ici données : à l’alternance mélancolique de fougue et de tendresse de la première succède la verve bondissante de la seconde qui accuse des intervalles moins précisément réalisé par l’artiste du jour.

Faisons un bond dans le temps avec deux pages d’Agustín Barrios : à la mélodie sentimentale de Divagacion, rondement menée, répond la « danse molle » de Pepita. Plus récent encore, Temptation of The Renaissance nous plonge dans l’héritage d’une chaconne d’autrefois, variée en quasi chanson celte, bretonne ou irlandaise, jusqu’à des harmonies plus contemporaines, sur un rythme final franchement « folk » ; de cet opus de Štěpán Rak (compositeur ruthène né en 1945), Walid Dhahri fait merveille. Nous sommes à Carthage, ne l’oublions pas : la fête se conclut avec Tango en skaï du Tunisois Roland Dyens.

BB