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Chroniques
récital Denis Matsuev
œuvres de Chopin, Liszt et Moussorgski
Après le Premier Concerto de Rachmaninov et celui de Tchaïkovski [lire nos chroniques du 24 novembre 2006 et du 2 décembre 2007], le pianiste russe Denis Matsuev, dont ces pages vous présentaient récemment le disque dédié à des pièces rares de Rachmaninov [lire notre critique CD], donne un récital qui révèle de nombreuses facettes de son talent, puisque s’y trouvent réunis trois compositeurs aux factures peu comparables.
Ainsi ouvre-t-il la soirée par la Sonate en si mineur de Ferenc Liszt dont le Lento initial rencontre sous ses doigts des sonorités d’orgue d’un moelleux étonnant. L’attaque de l’Allegro energico se fait dure, voire violente, formant un contraste vif, d’autant révélé par les silences ou points d’arrêt que le pianiste n’hésite pas à respirer jusqu’à créer un grand suspens. Les traits nettement véloces rencontrent une fluidité impressionnante qui enlise savamment la perception des rythmes, surenchérissant le secret d’une approche qui se garde d’une accentuation trop attendue. Pour sûr, le propos en est de faire mieux goûter la modernité de l’œuvre en son temps, bien au delà d’un romantisme convenu. Si l’on déplore que l’enthousiasme de Matsuev croit pouvoir passer outre la précision, notamment dans les passages où les accords martelés se précipitent, saluons une lecture superbement inspirée, y compris dans les phrases plus contemplatives, jamais passives. Le Prestissimo s’y fait tigre, alternant griffe et velours, l’ensemble de l’exécution ciselant la nuance d’un style personnel, subtilement inventif. Et c’est bien ce que l’on apprécie d’un artiste : que son expression ne ressemble à aucune autre.
Après l’entracte, la Ballade Op.52 n°4 de Fryderyk Chopin dévoile d’autres qualités. Denis Matsuev ménage une sonorité mouillée, une articulation délicate et pudique. La véhémence centrale de la partition n’exulte d’ailleurs pas. Son approche refuse la scansion et préfère distiller des fondus mystérieux. De fait, voilà bien un Chopin sans opéra, s’il en fût ! Le pianiste ne s’y trompe pas, noyant l’intarissable logorrhée du compositeur dans un affolement particulier.
Surprise encore que l’interprétation des Tableaux d’une exposition de Modest Moussorgski où l’on aurait pensé trouver un Matsuev orchestral. Au contraire, il en souligne adroitement le pianisme, ne cédant à l’instrumentation que pour l’ultime Porte de Kiev. Après une promenade altière, Gnomus se fait sombre. Quoique tendre, la deuxième promenade est sévère et introduit un Vecchio Castello brumeux dont les motifs ornementaux affichent cependant une hyper définition fort paradoxale autant qu’exquise. Après des Tuileries raffinées et claires, les fermes volées de cloches de Bydlo gagnent des proportions prodigieuses. La promenade conjugue alors les différents caractères, introduisant un Ballet des poussins d’une hargneuse espièglerie. Intense Goldenberg & Schmuyle, rêche Limoges, puis Catacombae souverainement nuancé. Après une Baba Yaga peut-être un peu trop simple, un relief complexe s’empare du dernier tableau, d’une évidente solennité ; attention, toutefois, à un excès qui rend bientôt brutale et même bruyante cette conclusion.
Pour remercier un public chaleureux, le pianiste offre deux bis qu’il emprunte à Rachmaninov. Cela n’y suffisant pas, il improvisera une variation sur un thème de Peer Gynt (Grieg), se lançant, pour finir, dans une Rhapsodie hongroise (Liszt encore) qu’il abrègera par une cadence personnelle drolatiquement jazzy.
BB