Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Claire-Marie Le Guay

Les nouveaux solistes / Serres d'Auteuil, Paris
- 12 septembre 2003
Thierry Cohen photographie la pianiste récital Claire-Marie Le Guay
© thierry cohen

Sous un ciel plus gris qu’à l’accoutumée, nous retrouvons le jardin des serres d’Auteuil et ses Nouveaux solistes pour le récital de Claire-Marie Le Guay – dont on rendait rendre compte des qualités d’accompagnatrice avisé au printemps dernier à l’occasion d’un concert avec Laurent Korcia [lire notre chronique du 2 mars]. Aujourd’hui, elle présente un programme concentré qu’on pourrait presque dire sérieux.

La Sonate Hob 16/49 de Joseph Haydn l’ouvre dans une lecture assez déroutante, tant par la sonorité toute schubertienne que par une mobilité inattendue des tempi. Pour joliment moelleuses qu’elles s’affirment, les fins de phrases sont toutes un peu trop prolongées, ce qui brise grandement la dynamique de chaque mouvement. L’Adagio central lorgne manifestement vers des audaces beethoveniennes, mais dans un chaos métrique et un omniprésent halo de pédale qui finissent par nuire à son intelligibilité. Cela dit, si nous aimons un Haydn nettement plus sec, d’excellents pianistes n’hésitent pas à en mouiller la sonorité générale (Lupu, par exemple), parfois même à outrance. Ce choix a l’avantage de faire entendre un troisième mouvement d’une tendresse rare, avec d’exemplaires pianississimi.

Comme il est d’usage aux Serres, la musicienne joue une œuvre contemporaine. Son choix s’est porté sur la Chaconne composée par Sofia Goubaïdoulina [Губайдулина] il y a une quarantaine d’années. Après avoir étudié le piano et la composition aux conservatoires de Kazan et Moscou, la tatare Goubaïdoulina puisa dans sa passion pour les instruments ethniques et leur implication dans des rites anciens d’origines caucasienne et asiatique une nouvelle inspiration, reposant en partie sur la sensation particulière éprouvée par l’interprète ou l’improvisateur. Si l’establishment musical soviétique s’opposait à ses recherches, des musiciens éminents défendirent sa démarche en jouant son œuvre le plus qu’ils purent, comme Valery Popov, Vladimir Tonkha, ou Gidon Kremer auquel elle dédia le fameux Offertorium qui la rendit célèbre en occident.

Sa Chaconne possède une force impressionnante, ne limitant jamais sa portée à celle de la partition. L’interprétation de ce soir, Pour irréprochable qu’elle s’avère techniquement, passe à côté de sa dimension spirituelle. Cette page induit un je-ne-sais-quoi d’incantatoire ; l’obstination de certains motifs rythmiques tient plus de la possible recherche d’une extase chamanique que d’un brillant jeu d’esprit et de sonorité. Si l’on n’en tient compte, la Chaconne passe simplement pour une vague bordée néo-classique, ce qu’elle n’est pas.

Indéniablement, c’est avec les Deux Légendes de Liszt que Claire-Marie Le Guay charme l’auditoire, par un jeu d’une délicatesse infinie, tant dans le geste, la sonorité, que dans l’articulation des phrases. On apprécie des contrastes parfaitement maîtrisés de cette version précise autant que poétique. En bis, la danse de Petrouchka (Stravinsky) vient magnifiquement clore ce moment.

BB