Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Camille Thomas
œuvres de Casals, Cassadó, Donatoni et Ysaÿe

Printemps des arts de Monte-Carlo / Conseil national, Monaco
- 11 avril 2015
la jeune violoncelliste Camille Thomas, au Printemps des arts de Monte-Carlo
© aline fournier

Outre la féconde croisée de ses cycles, la programmation du Printemps des arts de Monte-Carlo porte un œil bienveillant sur la nouvelle génération d’interprètes, complices à ouvrir les oreilles des festivaliers. Ainsi de la jeune violoncelliste Camille Thomas, saluée l’an dernier d’une révélation aux Victoires de la musique, qu’en l’hémicycle du Conseil national monégasque nous entendons dans un parcours tout de raretés.

À partir de 1939, Pablo Casals prit habitude d’ouvrir ou de fermer chacun de ses récitals par El cant dels ocells , Noël catalan qui fait dialoguer les oiseaux autour de la naissance du divin enfant. Ni chouette ni rougequeue ni mésange sous l’archet de Camille Thomas, mais une berceuse à la respiration grave, bénéficiant d’un phrasé sensible et profond. Cette brève pièce sera reprise en guise de bis. De son compatriote Eugène Ysaÿe, dont surtout l’on connaît l’œuvre pour violon – les six sonates, bien sûr, mais encore faut-il écouter les Poèmes [lire notre critique du CD] –, elle donne ensuite la Sonate en ut mineur Op.28, écrite en 1924 pour le virtuose wallon Maurice Dambois (1889-1969, lui-même compositeur). Après un Grave où s’affirme une dynamique finement travaillée, l’Intermezzo survient comme une danse contrariée, fragmentée, qui introduit idéalement l’âpre déclamation du troisième mouvement, servie par une pâte plus noueuse que tendue. Le final se réconcilie avec la virevolte à peine esquissée plus haut.

Comme son maître Casals, Gaspar Cassadó fit une brillante carrière de soliste tout en écrivant sa propre musique – les instrumentistes-compositeurs font décidément le sujet du jour… – et vécut l’exil durant la période franquiste. Il conçoit sa Suite en 1926. Si le premier épisode semble un rien privé du soleil attendu (à la décharge de la musicienne, l’acoustique est très sèche), la Sardana médiane prend d’heureuses couleurs, avec des fifres d’harmoniques parfaitement réalisés. La mélopée mélancolique qui conclut ce mouvement ne prévient pas ; elle s’impose d’autant plus. Le dernier regarde vers l’aria con recitativo baroque, pourrait-on dire, même si ladite aria est une danse vigoureuse.

Une exception dans ce menu qui emprunte aux virtuoses : Franco Donatoni. Le créateur italien est mis à l’honneur de la trente-et-unième édition du festival, avec plusieurs œuvres. Lame fut composée pour Alain Meunier en 1982 qui en livrerait la première l’été même, lors de la Settimana Musicale Senese. Dans ses deux parties, nous retrouvons la façon toute personnelle de Donatoni de remâcher ses motifs obsessionnels, ressassant si précisément son instabilité qu’elle la pourrait bien fixer dans une permanence non-rêvée. D’abord grande péroraison descendante jonchée de gratouillis pré-sciarriniens, en écho, Lame s’enferme ensuite dans un jeu d’esprit, construction pieusement balisée, boîtier de sécurité. Avec un grand art de la nuance, Camille Thomas investit l’œuvre jusqu’à sa plainte finale qui soudain tourne court, souffle coupé.

BB