Chroniques

par irma foletti

récital Anna Caterina Antonacci
Seinovecento – Da Monteverdi a Poulenc

Francesco Libetta, Orchestra Cremona Antiqua, Antonio Greco
Festival della Valle d’Itria / Palazzo Ducale, Martina Franca
- 31 juillet 2020
Anna Caterina Antonacci chante l'amour, "da Monteverdi a Poulenc"
© larissa lapolla

La cour du Palazzo Ducale propose une soirée intitulée Seinovecento Da Monteverdi a Poulenc, où le soprano Anna Caterina Antonacci, accompagné par d’excellents musiciens, tient la vedette. Le programme se déroule en deux parties bien distinctes, d’abord consacré à des compositeurs du Seicento (XVIIe siècle), puis dédié aux musiques du XXème siècle (Novecento).

C’est une formation au joli son typiquement baroque qui accompagne d’abord la chanteuse, sept musiciens de l’Orchestra Cremona Antiqua placés sous la direction d’Antonio Greco, celui-ci assurant également les parties de clavecin et d’orgue. Suivant les morceaux, l’orchestration alterne entre l’ensemble des instrumentistes et un effectif réduit à quatre musiciens formant le continuo. Cette première partie se veut comme un tout, sans pause après chaque air, les artistes tentant d’enchaîner rapidement malgré les applaudissements du public. Et il est remarquable et surprenant de constater que les passages successifs sont déroulés avec de telles fluidité naturelle et homogénéité d’ambiance musicale qu’on pourrait presque croire à un compositeur unique.

C’est ainsi qu’au passage musical de la Canzon Quinta a 4 de Girolamo Frescobaldi (1583-1643) succède le Lamento d’Arianna de Claudio Monteverdi (1567-1643). Dès ses premières paroles, « Lascatemi morire », Anna Caterina Antonacci s’y montre poignante, une femme qui souffre, mais reste digne, voire altière, tout autant dans la voix que dans l’attitude. L’économie de gestes reste la règle, à l’exception d’une main qui se lève, tous doigts écartés, pour signifier sa colère envers Thésée, en même temps que quelques notes graves un peu appuyées et sévères sont émises.

Après un extrait de la Sinfonia grave a 5 de Salamone Rossi (1570-1630), retour à Monterverdi avec le Lamento della Ninfa et les courtes interventions de trois chanteurs placés à cour. Puis vient Disprezzata regina, l’air d’Ottavia extrait de L’incoronazione di Poppea. La déclamation de l’artiste est passionnante, les mots gorgés de sens et projetés avec vigueur sans excès. Les rapides traits d’agilité sont également maîtrisés par cette ancienne interprète rossinienne émérite. La séquence Monteverdi se conclut par Vi ricorda, o boschi ombrosi d’Orfeo, un air plus enjoué, rapide et bondissant, mais tout de même pas totalement joyeux dans cette bouche, le doute ou la menace paraissant planer.

L’extrait de l’Armonico tributo de Georg Muffat (1653 -1704) semble ensuite composé sur mesure comme introduction au grand air Quel prix de mon amour tiré de Médée de Marc-Antoine Charpentier (1636-1704). Bien dans le thème général de la soirée – la femme séduite puis délaissée –, l’héroïne communique sa peine, mais n’est pas encore la Médée vengeresse qui tuera ses deux enfants. Nous avions eu la chance de voir Anna Caterina Antonacci dans le rôle sur la scène du Grand Théâtre de Genève en mai 2019, et à nouveau, dès ses premiers mots, elle incarne le personnage en grande tragédienne, grâce à une voix ample et lyrique, une prononciation idéale du français. Bref l’un des sommets de la soirée.

La partie baroque se termine avec une Serenata per pianoforte de Leonardo Leo (1694-1744), avant de faire un saut de deux siècles pour retrouver Ottorino Respighi (1879-1936). L’accompagnement est assuré dorénavant par le piano de Francesco Libetta, sur un instrument délicat et un peu espiègle pour les cassures rythmiques de Sopra un’aria antica qui installe une ambiance radicalement différente, plus légère et moins dramatique. Les trois Canzoni dei ricordi de Giuseppe Martucci (1856-1909) évoquent une atmosphère de salon, même si les thèmes retenus sont à nouveau le temps qui passe et l’amour qui s’en va. La deuxième chanson, Fior di Ginestra, se conclut par « Io son sola e piango », mots qui pourraient sortir de la bouche d’Ariane, de Médée ou d’Ottavia.

Après Ständchen de Richard Strauss (1864-1949) au piano seul, place à une séquence française et La dame de Monte-Carlo de Francis Poulenc (1899-1963), un air long sur un texte (Cocteau) et une musique pleins d’esprit. La diseuse est magnifique, et le français – une fois de plus – parfait ! Maurice Ravel (1875-1937) et ses Jeux d’eau s’intercalent avant le retour de Poulenc pour une interprétation nostalgique de la chanson Les chemins de l’amour, et ses mots ciselés... avec amour !

Un unique bis est accordé, mais pas des moindres : L’amour est un oiseau rebelle de la célèbre Carmen... l’amour, encore lui : Antonacci ose tout du long des nuances entre piano et pianissimo, dégageant encore plus de séduction et de féminité que les interprétations habituelles. Une découverte pour beaucoup d’auditeurs et une standing ovation finale pour remercier la soliste et les musiciens accompagnateurs.

IF