Chroniques

par bertrand bolognesi

Quatuor Modigliani
œuvres de Ravel, Saint-Saëns et Schubert

Auditorium du Louvre, Paris
- 15 octobre 2014
Le Quatuor Modigliani joue Ravel, Saint-Saëns et Schubert au Louvre (Paris)
© sylvie lancrenon | mirare

Au Louvre se poursuit le cycle De Rameau à Daho présenté en partenariat avec le Palazzetto Bru Zane, une initiative grâce à laquelle nous découvrions, il y a une quinzaine de jours, l’excellent Dániel Lebhardt [lire notre chronique du 25 septembre 2014]. Nous y retrouvons ce soir le Quatuor Modigliani dans un programme assez copieux ouvert par le Quatuor en mi bémol majeur D.87 (n°10) de Franz Schubert dont d’emblée l’Allegro moderato s’infléchit dans une tendresse un rien surannée qu’habite une gravité larvée. S’y conjugue bientôt mélancolie relativement discrète, à peine contrepointée par une lumière plus « heureuse », cependant jamais joviale, loin s’en faut. Au thème initial très volontaire du Scherzo succède une ritournelle de vièle à roue (Trio), ici particulièrement savoureuse, délicatement respirée par nos quartettistes. Subtilement conduit vers une touffeur secrète par l’alto de Laurent Marfaing, l’Adagio avance dans un équilibre précieux, rehaussé soudain par le solo de Philippe Bernhard, simple de prime abord – mais il n’en est rien, bien sûr. Le soin qui domine le dialogue entre ce même premier violon et François Kieffer au violoncelle nous vaut un Allegro conclusif tout en finesse, éclairé d’une amabilité tout haydnienne.

Voguant du répertoire germain au gaulois, et avant que de réinterpréter demain cet opus schubertien (au rendez-vous de midi et demi), en compagnie du poignant Quintette pour piano et cordes en ut mineur Op.42 de Louis Vierne (dont le public vénitien bénéficiera le 11 décembre, en clôture du festival Romantisme entre guerre et paix du Centre de musique romantique française), les Modigliani se lancent dans l’exigeant Quatuor en mi mineur Op.112 n°1 de Camille Saint-Saëns et confirment l’enthousiasme qui s’était emparé de notre équipe il y a deux ans, à la sortie de leur double-disque Saint-Saëns, Debussy, Ravel chez Mirare, une parution qu’alors nous avions chaleureusement saluée d’une Anaclase! [lire notre critique du CD]. Après l’intrigue questionneuse de son introït, où s’impose immédiatement une couleur nouvelle, l’Allegro vacille d’une effervescence tragique. Voilà une œuvre nerveuse, tendue à l’extrême, et au long souffle, qui plus est. De ce premier mouvement, la redoutable fougue violoncellique s’avère servie par une tenue musclée. Encore le tutti final requière-t-il une grande qualité d’écoute mutuelle et une rigoureuse efficacité technique qui jamais ne fait défaut à nos quatre musiciens. Ils s’engagent ensuite avec cœur dans l’urgent Scherzo, proprement palpitant, où Loïc Rio (second violon) élève une âpre mélodie. La vigueur des pizz’ est saisissante, juste avant la brève extinction de l’épisode, farouche à souhait. Sans doute la troisième séquence est-elle l’un des moments les plus aboutis de la soirée, Molto adagio très délicatement nuancé, indiciblement sensible. Enfin, les interprètes se jouent bravement des périls derniers : leur Allegro non troppo nous emporte loin.

Après l’entracte, le Quatuor Modigliani donne un de ses grands chevaux de bataille, dans lequel souvent l’on eut plaisir à l’entendre : le Quatuor en fa majeur Op.35 de Maurice Ravel qui lui sied à ravir [lire nos chroniques du 10 septembre 2010 et du 28 juillet 2008]. Plutôt que de confortablement vérifier des acquis, il essaie encore de nouvelles choses, possédant si bien la partition que tout risque est permis. Quelle douceur dans les alliages du premier mouvement, quel naturel dans l’articulation générale, jusqu’à l’exquise nuance qui l’achève. La contagieuse fraîcheur de l’Assez vif, très rythmé affirme de francs contrastes, avant que le feutre prégnant de la brève déploration d’alto et de son répons au violoncelle donne le ton du Très lent, moment de grâce absolue dont le givre extatique est soudain traversé par un élan lyrique généreux. Entre valse et barque sur l’océan, l’ultime section est un mystère de danse, sous ces archets.

À l’accueil chaleureux du public il est répondu par l’Andantino du Quatuor en sol mineur de Debussy, caressant déjà la nuit.

BB