Chroniques

par laurent douel

Quatuor Minguet
Gérard Pesson, Wolfgang Rihm et Jörg Widmann

Festival d'Automne à Paris / Opéra Bastille
- 20 octobre 2004

Dans le cadre du Festival d'Automne à Paris, le temps d'un concert de qualité, l'Amphithéâtre de l'Opéra Bastille accueille le jeune compositeur Jörg Widmann, clarinettiste brillant et, surtout, d'une grande sensibilité. On sent en lui une intelligence de l'œuvre qu'il joue , y compris au sens ludique du terme. Les autres musiciens de la soirée sont de même essence, notamment le Quatuor Minguet, ensemble totalement soudé, réactif et investi, que ce soit physiquement ou musicalement.

La première pièce, Fieberphantasie (1999), est une œuvre où Widmann fait intervenir en sus un piano bien servi par Stefan Litwin. De construction nettement séquentielle, la pièce alterne des moments dont les césures sont marquées par des ponctuations d'accords au piano. Les sons circulent, les harmoniques de cordes se tuilent et se confondent dans les aigus de la clarinette. Les rythmes passent en relais du piano aux autres instruments. Un accord tonal, une note émergent comme des réminiscences. La page travaille aussi sur le son du piano joué aux doigts sur les cordes ou à l’aide d’un plectre. Le spectre sonore est traité en conscience avec des passages de saturation de l'aigu puis de réoccupation progressive de l'espace complet. Une mélodie de clarinette accompagnée par un doux et sombre cluster de cordes produit un effet onirique. À la fin, une mélodie tonale se détache d'abord à la clarinette puis au violoncelle, selon une technique de montage qui éclaire des références au passé déjà esquissées par le piano. C'est une œuvre attachante qui évite les effets instrumentaux trop souvent affectionnés par les compositeurs instrumentistes et reste au plus près de la musique.

La pièce suivante, Nebenstück (1998), filtrage de la Ballade op.10 n°4 de Brahms par Gérard Pesson, fait aussi référence au passé, mais selon un angle tout à fait différent. La formation quatuor à corde avec clarinette donne à entendre une sonorité surprenante, fantomatique, éludée. La musique semble venir de derrière un voile. On reconnaît une valse émiettée, chuchotée. Les sons se dispersent dans l'espace. C'est une pièce charmante à l'ambiance délicatement surannée, sans recherche de tension, juste une linéarité vaguement douloureuse comme un après-midi pluvieux. Petit clin d'œil final avec les archets qui frottent rythmiquement les éclisses, transformant d'un coup les musiciens en petits pantins fatigués. L'interprétation est impeccable.

Après l'entracte, nous retrouvons la formation quatuor à corde avec clarinette pour une œuvre de Wolfgang Rihm, Vier Studien zu einem Klarinettenquintett (2003). Les cinq pièces mouvement sont conduits par la clarinette qui en est le moteur quasi ininterrompu. L'écriture est assez classique, en ce qui concerne les techniques d'articulation des différents moments ou les modes de jeu. Globalement, nous sommes face à une mélodie accompagnée qui alterne tension et détente, que ce soit par la dynamique, le registre ou le tempo. Cet opus travaille sur le temps par des effets compression/dilatation, des chevauchements d'états, d'émotions, ou des arrêts brusques. La musique incarne le rêve et occupe l'espace mental de l'auditeur tout en le laissant libre. Là encore, l'interprétation se révèle excellente et les applaudissements nourris rendent un hommage mérité aux artistes.

LD