Chroniques

par bertrand bolognesi

Quatuor Diotima
Beethoven, Janáček et Onslow

Opéra national de Montpellier / Corum
- 27 février 2010
à Montpelleir, récital du Quatuor Diotima : Beethoven, Janáček et Onslow
© thibault stipal

Lorsque les interprètes du répertoire contemporain se penchent sur les partitions d’hier, c’est bien souvent avec bonheur, car l’habitude prise de soigner chaque détail et de suivre fidèlement la moindre exigence des compositeurs vivants induit une approche non seulement précise mais souvent inspirée (sans parler d’un niveau technique sans cesse en évolution, puisque les œuvres nouvelles font naître des questions, donc des solutions). Régulièrement entendu dans des opus récents, comme en témoignent nombre des pages publiées par notre média, le Quatuor Diotima n’omet cependant pas de fréquenter la musique « ancienne », donnant tout aussi bien Harvey, Dillon, Carter ou Crumb que Haydn, Schubert, Fauré ou Dvořák.

On remarquera un intérêt particulier pour la redécouverte, les Diotima ne dédaignant pas de servir des œuvres moins courues, oubliées des instrumentistes et du public (pour diverses raisons) ou encore d’explorer le répertoire par d’autres versions. Ainsi des quatuors de Janáček ou de ceux de Lucien Durosoir qu’ils enregistrèrent. Autre CD paru tout dernièrement : les Opus 54, 55 et 56 de George Onslow (Naïve V 5200), gravés avec l’aide du Centre de musique romantique française de Venise – autrement dit le Palazzetto Bru Zane dont nous vous parlions il y a quelques jours [lire nos chroniques des 19 et 21 février], qui, outre d’éditer sept des partitions d’Onslow (les quatre Quatuors Op.8, l’ouverture du Colporteur, la Symphonie Op.41 et le Quatuor Op.41), coproduisit il y a un an Guise ou Les États de Blois, opéra comique en trois actes arrangé en quatuor (Op.60) par l'auteur (CD Ligia Digital).

C’est par son Quatuor en ut mineur Op. 56 n°30, composé en 1835 après la découverte des ultimes quatuors de Beethoven, laquelle entraîna une sévère remise en question dont le remède devait être un sain regain de créativité auto-réformatrice, que commence le rendez-vous de cet après-midi. Faisant la part belle au violoncelle – celui du grand Chevillard auquel il est dédié, bien sûr, mais sans doute aussi en souvenir de sa propre pratique, plus de vingt ans auparavant, au sein d’un quatuor amateur –, l’œuvre est ouverte par son imposante phrase, dans un geste à la fois vif et alangui, bientôt souligné par les soubresauts comme épuisés des échanges suivants. D’une belle unité, l’interprétation dessine en grande discrétion les traits de chacun, signant précieusement l’équilibre du début du Menuet, recueilli et élégant, comme la tendre lumière de l’alto dans l’Adagio cantabile ou le nerveux bondissement du Finale.

Beethoven, ensuite, avec son Quatuor en mi bémol majeur Op.74 n°10 « Les Harpes » écrit en 1809. Dans une désolation désertique, proprement saisissante, les Diotima introduisent à mi-voix le premier mouvement dont ils articuleront le corps sans surcharge virtuose avec un grand sens de la nuance. Dignement plaintif, l’Adagio s’impose et surprend par le risque pris avec la dynamique, osant la fragilité, parfois aux confins du silence, ce qui suppose une précision redoutable, ici parfaitement assumée. Tout en préservant l’interprétation dans un ambitus finement expressif, le Presto s’affirme fiévreux, avant que de virevolter dans les variations du final

Plus encore, c’est dans le Quatuor n°2 « Lettres intimes » de Leoš Janáček que Diotima révèle ses immenses qualités. L’alternance des attaques acides et des phrases copieusement vibrées de l’Andante, dans une respiration large (y compris dans les silences) rend passionnante la délicatesse du jeu. Ces effets d’oxydation, pourrait-on dire, magnifieront le chant de Franck Chevalier à l’alto, d’une sensibilité inouïe. Formidablement emporté, le troisième épisode bouscule dans une épaisseur expressionniste, menant tout naturellement à l’ultime Allegro, terriblement prégnant.

BB