Chroniques

par gérard corneloup

Quatuor Béla et Percussions-Claviers de Lyon
Leonard Bernstein, George Crumb, Marc Mellits et John Oswald

Cordes en ballade / Bourg-Saint-Andéol et Montpezat-sous-Bauzon
- 10 et 14 juillet 2012
l'ensemble Percussions-Claviers de Lyon se produit à Cordes en ballade
© joseph baroni

Welcome America. Le slogan 2012 du festival Cordes en ballade prend la plus forte de ses significations quand le grand ancien Bernstein y côtoie Mellits, l’un des plus intéressants parmi la jeune génération américaine. Le tout sous les doigts experts, véloces et étincelants des instrumentistes Percussions-Claviers de Lyon [photo], formation invitée par le Quatuor Debussy, dans le cadre aussi superbe qu’acoustiquement excellent du Cloître de la cascade (Bourg-Saint-Andéol). Gérard Lecointe, fondateur leader de cet ensemble, est un as dans l’art de la transcription, expert à faire passer la manne musicale des cordes aux percussions-claviers.

Et c’est bien utile avec le sieur Debussy, dont diverses partitions ouvrent la soirée de mardi, anniversaire oblige. D’abord avec quatre pièces puisées dans les deux livres des Préludes, où le brio des Feux d’artifices passe beaucoup mieux la rampe que les demi-teintes de Voiles. Ensuite avec deux Nocturnes également transcrits d’après la version orchestrale d’origine, Nuages et surtout Fêtes, dans lesquelles l’orientalisme de bon aloi qui les scelle puise une nouvelle force séduisante. Le tout encadre Après les masques, une partition de Lecointe lui-même qui puise avec habilité et expressivité dans Masques de Claude « de France ».

Made in USA, ensuite, avec une création mondiale due à Marc Mellits, compositeur en résidence 2012 du festival. De plus, . Inertia est la première œuvre qu’il écrit à destination d’un ensemble de percussions. Pleine de vie, jouant avec aisance et adresse sur les richesses et les possibilités « percutantes » de ce matériau nouveau, elle attire l’intérêt et procure le plaisir du mélomane, même peu familier de ce répertoire. La transcription signée par Gérard Lecointe du célébrissime West Side Story de Bernstein – qui reçut d’ailleurs l’imprimatur du compositeur, ravi – est devenue un grand classique de l’ensemble lyonnais, toujours aussi bien défendu, enlevé, détaillé, de plus joué avec une joie communicative qui passe volontiers à l’auditeur, lequel se surprend vite à en fredonner les airs.

Dense, immense, intense, frémissante, changeante, violente, prenante… ils sont légion les qualificatifs, voire les superlatifs, qui viennent à l’esprit après avoir écouté, absorbé, distillé, digéré l’œuvre jouée – mieux : vécue ! On l’aura compris, l’audition, samedi à Montpezat-sur-Bauzon, de Black Angels de George Crumb, partition pour quatuor à cordes et instruments ajoutés (comme gongs et archets de verre) sort de la banalité et du plat confort d’écoute. Sous-titrée Treize images de la Terre obscure, cette pièce, écrite en 1970 par le musicien américain délibérément tourné vers les innovations portées par le Vieux Monde et sa seconde École de Vienne, mais vivant douloureusement les affres de la guerre du Vietnam, est sombre, douloureuse, désespérée, gorgée de sève sur un tissu instrumental traitant avec la même vigueur les cordes et un matériau musical incongru, quoique jamais parasite, et des innovations, des audaces sonores qui, près d’un demi-siècle après sa création, n’ont rien perdu de leur originalité. Le tout est consolidé par les jeux anguleux auxquels le compositeur s’est livré avec les mots, les chiffres et leurs répétitions.

À partition hors du commun il faut des interprètes parfaitement rompus à ce genre d’expression musicale. C’est tout à fait le cas du Quatuor Béla, constitué de quatre jeunes musiciens issus du CNSM de Lyon, s’appliquant à défendre le répertoire contemporain et du second XXe siècle. Ils le défendent, ils le vivent, ils le restituent avec un dosage savant et bien mené de complicité, de maîtrise et d’engagement, aussi experts dans l’art de travailler les cordes que dans celui d’effleurer les verres d’un glass harmonica inattendu.

Dans un monde voisin, ils explorent avec le même bonheur et force gestes adéquats le nettement plus concis Spectre, quatuor avec bande du contemporain canadien John Oswald, tout comme le plus « classique » Quatuor Op.25 n°1 de Benjamin Britten (1931) – sans parler d’un Quatuor en mi bémol majeur Op.74 n°10 de Beethoven manquant peut-être un rien de subtilité. Mais, après les exploits précédents, comment le reprocher à ces preux chevaliers de la musique d’aujourd’hui ?

GC