Chroniques

par bertrand bolognesi

Quatuor Ardeo

Luigi Cherubini et les premiers romantiques / Palazzetto Bru Zane, Venise
- 16 octobre 2010
Le Quatuor Ardeo photographié par Michele Crosera au Palazzetto Bru Zane (Venise
© michele crosera

Notre Dossier de ce mois d’octobre vous l’annonçait : le Centre de musique romantique française de Venise, autrement dit le Palazzetto Bru Zane – où le plaisir fut grand d’entendre cet hiver de rares pages de Félicien David, Giuseppe Maria Cambini et Hyacinthe Jadin [lire notre chronique du 19 février], et, plus rares encore, quelques romances d’Amédée de Beauplan, Henri Montan Berton et Pierre-Jean de Béranger [lire notre chronique du 21 février] –, célèbre cet automne le grand Florentin de Paris, pour ainsi dire, à travers le fort riche programme de son festival Luigi Cherubini et les premiers romantiques [lire notre dossier].

Cet article aurait dû vous entretenir des sonates de Rodolphe Kreutzer, Louis-Ferdinand Hérold et Jadin (concert de Tami Troman et Yoko Kaneko, le 12 octobre) et de la recréation de Lodoïska (par Jérémie Rhorer, à la tête des Eléments et de son Cercle de l’Harmonie, à La Fenice le 13), douzième ouvrage lyrique de Cherubini, soit une comédie héroïque - livret de Claude-François Fillette-Loraux – qui vit le jour à Paris (Théâtre Feydeau) en juillet 1791 … mais les mouvements sociaux qui animent la vie française du moment en décidèrent autrement : la résistance des uns ne rencontrant que la surdité des autres, c’est un peu plus tard dans la semaine que l’on atteignit la lagune.

Qu’à cela ne tienne ! L’occasion est rêvée de retrouver quatre archets talentueux : ceux de Joëlle Martinez au violoncelle, de Caroline Donin à l’alto, de Carole Petitdemange et Olivia Hughes aux violons, jeunes dames à former ce Quatuor Ardeo que toujours nous écoutons avec grand intérêt. Aussi ce nom-là n’est-il pas inconnu du lecteur qui se souviendra qu’il y a quelques années déjà, notre rédaction saluait alors d’une Anaclase! son fort bel enregistrement des opus 51 et 27 de Charles Kœchlin [lire notre critique du CD].

Débutant par les années 1770, le programme joué ce soir suit un ordre chronologique. D’abord Mozart et son Quatuor en sol majeur K.80 n°1 dont l’Adagio initial est ici délicatement ciselé, le chant lunaire du premier violon se trouvant subtilement relayé par un second violon tout à l’écoute. Dans une saine clarté de l’articulation générale, soutenue par une basse ferme, l’Ardeo accorde une effervescence communicative à l’Allegro, livrant ensuite un Menuetto d’une fluidité toute simple. Des attaques franchement offensives viendront conclure le Rondo.

Vienne, 1802. Près de six ans avant de s’installer définitivement à Paris où il deviendrait Antoine Reicha, le Pragois Antonín Rejcha vit à Vienne et y écrit son Quatuor en ut mineur Op.49 n°1. Pour être le premier d’une nouvelle série de trois, il est aussi le quatrième quatuor d’un vaste catalogue qui, au final, en compterait une vingtaine. L’exécution de ce soir s’avère particulièrement engagée, toujours infiniment sensible, avec un lyrique Allegro assai, introduit par une sournoise mélopée qui survit à le tendre de bout en bout. Le climat dramatique se fait tout de danger, bientôt gagné par une sorte de fièvre dans le second thème. Tout en empruntant une mélancolie quasiment baroquisante, l’Adagio prend des allures d’air populaire que les quartettistes soulignent discrètement par une grande tenue de la nuance. Une vigoureuse expressivité mène rondement le Menuetto. Pour finir, l’énigmatique Allegro qui semble patiner sur ses obstinations fait l’objet d’une interprétation pleine d’esprit, respectueuse de l’absence absolue de tout pathos, observable dans la brièveté des fins de mouvement comme dans ce Finale de l’œuvre entière.

Paris, 1837. Français par choix depuis quelques cinquante printemps, le Toscan Luigi Cherubini dirige le conservatoire de Paris depuis quinze ans déjà lorsqu’il compose le Quatuor en la mineur n°6, sa dernière contribution au genre. Son Allegro moderato rencontre, ce soir, une grande noblesse de ton ainsi qu’une fascinante mise en relief qui lui confère un je-ne-sais-quoi d’opératique, pour ainsi dire. On retrouve la clarté qui fait la signature du Quatuor Ardeo dans le dessin de l’architecture du mouvement, une clarté qui pourrait bien s’avérer voisine d’une conception un rien trop cérébrale. À l’inverse de l’œuvre précédente, celle-ci affectionne les finals pompeux : aussi nos musiciennes lui offrent-elles un grand brio. À l’élégance de l’Andantino grazioso succède un Scherzo assez redoutable. Enfin, après un long préambule fougueux, l’ultime Allegro affettuoso laisse sourdre une tendresse indicible qu’Olivia Hughes sert en toute sobriété ; ce revirement mène tout droit à un final qui, à le comparer à celui du premier épisode, paraîtra presque dépouillé.

Au public qui salue chaleureusement leur prestation, les musiciennes offrent le Menuet du Quatuor Op.94 n°3 de Reicha – nous sommes en 1824, toujours à Paris - dans une sonorité veloutée, avec son trait de violoncelle joliment vocal.

BB