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Chroniques
Quatuor Accord
hommage à László Lajtha
Après la brillante introduction d’Emőke Solymosi Tari [lire notre chronique du jour], le Quatuor Accord prend place dans la salle des concerts de l’Institut Hongrois de Paris, poursuivant cette soirée d’hommage à László Lajtha. La formation compte des jeunes gens (nés entre 1980 et 1983) formés à l’Académie Ferenc Liszt de Budapest : Péter Mező et Csongor Veér aux violons, Péter Kondor à l’alto et Mátyás Ölveti au violoncelle qui entendent jouer tant les répertoires anciens que la musique d’aujourd’hui, comme en témoigne clairement ce menu.
Les années trente furent particulièrement riches pour László Lajtha. Il passe du temps à Paris, compose beaucoup et sa carrière prend enfin une carrure internationale. Le Quatuor à cordes Op.11 n°3 est composé en 1929 ; il sera suivi d’un Quatrième l’année suivante et d’un Cinquième en 1934. De la même période féconde datent le Concerto pour violon Op.15, la Sonate pour violoncelle et piano Op.17, le Trio à cordes Op.18 n°2, son ballet Lysistrata d’après la comédie éponyme d’Aristophane (1933 ; créée à l’Opéra de Budapest en 1937 avec Piroska Tutsek dans le rôle-titre, l’œuvre n’a pas été rejouée depuis), le Trio pour harpe, flûte et piano Op.22, la musique d’Hortobágy, film de George Hoellering qui paraît en 1936, enfin la Symphonie Op.24 n°1. Cette grande veine fort inspirée le conduit bientôt à signer un contrat avec les éditions Alphonse Leduc. Le Quatuor n°3 est créé en octobre 1931.
D’emblée d’Andante impose son caractère élégiaque. Exposé au violoncelle, le thème est bientôt relayé par les autres pupitres. On goûte déjà la grande qualité d’écoute mutuelle d’Accord, son alto subtilement coloré, son second violon particulièrement chantant. À cette forme plutôt ancrée dans le passé succède un Allegro vif aux allures de gavotte, proche de cet esprit français que Lajtha fit sien. L’approche demeure cependant plus musclée que les pages de nos néo-classiques d’alors. C’est que le compositeur réalise une synthèse délicate entre ces procédés et ses propres racines. Après un début un peu heurté, le redoutable Commodo se déploie dans un jeu plus assoupli et une verve à laquelle le premier violon donne un appréciable relief. Éminemment présent dans ces trois mouvements, c’est dans le Poco lento que le violoncelle se fait plus remarqué encore, posant souverainement les prémices d’une plainte lente qui va entrelaçant ses développements. Un grand lyrisme domine le Vivo conclusif, enchaîné en germe de fugato, dont le final en saine tonicité s’envole, sans « blabla ».
La seconde pièce au programme est le Quatuor n°2 de Ligeti, écrit en 1968 puis créé à Baden Baden en décembre 1969. Le jeune compositeur hongrois Péter Zombola (né en 1983) a imaginé deux pages, Commentaires Ligeti : il s’agit pour lui de préparer une ambiance particulière qui lui semble propice à la réception de l’œuvre du grand aîné, puis de revenir vers le public en guise de sortie. Deux « commentaires », donc. Le premier est un prologue qui désolidarise très progressivement un unisson, glissant sur des micro-tons en un dense continuum, « à la manière de ».
Tendue, épicée même, voire irascible, la lecture de l’Allegro nervoso de l’opus ligétiens révèle un intense travail de contraste qui, parfaitement respectueux, ne « cérébralise » pas trop cette musique. Une certaine attache à la nature même du son est ainsi préservée. Les passages en « sifflements » d’harmoniques s’aèrent dans un surprenant chalumeau. Le Sostenuto accuse une dure signature, à la concentration rauque, tandis qu’exemplaire se fait le fascinant clapotis de pizz’ de Come un meccanismo di precisione, la reprise des archets opérant ensuite dans une soie opulente qui surprend. La fermeté de ton choisie pour le presto furioso est fidèlement au service d’un climat « méchant », pour ainsi dire, tumultuoso farouche et bref (le plus court des cinq mouvements). Se laissent deviner la correspondance entre 3 et 5, dans l’Allegro final, fluide, auquel faisait clairement allusion le prologue de Zombola.
De ce dernier, l’accord du second commentaire continue de s’écarter en micro-tons, jusqu’à épiloguer un nouvel unisson, selon une fabrication qui joue humblement d’un « ligétisme » nettement identifiable. Avouons ne pas saisir l’enjeu de cet exercice de style… Grand plaisir, en tout cas, que la découverte de l’excellent Quatuor Accord dont nous saluons la musicalité et l’engagement.
BB