Chroniques

par bertrand bolognesi

Porgy and Bess | Porgy et Bess
opéra de George Gershwin

Opéra Comique, Paris
- 2 juin 2008
© elisabeth carecchio

Le hasard des programmations de nos maisons d’opéras a voulu que cette fin de saison se voue à Gershwin. L’on est donc inévitablement amené à comparer ce qu’on en voit ici et là. Et l’on ne manquera pas de manifester son étonnement de constater qu’en usant d’un même procédé, les uns et les autres obtiennent des résultats diamétralement opposés. C’est là le mystère de la création artistique.

Comme à Lyon [lire notre chronique du 25 mai 2008], ce Porgy and Bess invite largement la projection d’images sur sa scène, via un dispositif assez ingénieux et au fonctionnement séduisant, de prime abord. Un écran souple utilisé recto-verso et son rétroprojecteur sont fixés à un rail qui les rend mobiles, circulairement et verticalement. Passée la surprise, la machine demeure limitée, d’autant que le registre vidéastique décliné opère au petit bonheur, sans cohésion avec ce qui se passe sur scène. Bref, c’est à un spectacle décoratif que l’on assiste, s’impliquant trop peu dans l’opéra.

La scène est bordée de murs blancs, d’une longue table blanche, de chaises blanches… Assez esthétique au demeurant, l’excuse de la neutralité indiffère, aucune dimension théâtrale n’animant les personnages à peine actionnés, plutôt qu’animés, par les caprices de gentilles caricatures. Anecdote et confusion résumera l’affaire. On notera même certaines erreurs ou maladresses dans les rares réactions convoquées – comme le cri de désapprobation indignée après que le policier blanc vocifère un Sale nègre, par exemple (l’indignation, pour intérieure qu’elle soit, ne s’extériorise certes pas devant une invective qui, dans cette Amérique-là, est monnaie courante, qui plus est dans la confrontation des communautés).

Dans l’orgie d’artifices et de références qu’elle conjugue, Robyn Orlin elle-même a besoin de simplicité : c’est bien pourquoi elle finit par systématiser un recours à l’air chanté depuis la salle, devant la fosse d’orchestre, livrant alors une sorte d’oratorio qui désincarne les moments clés du drame. C’est là l’unique émotion du spectacle : le sincère aveu d’impuissance répété de son metteur en scène.

À l’opposé de cet extrême lissage d’un ouvrage qui, au contraire, rebondit d’écueil en récif, la direction capiteuse de Wayne Marshall profite avec éclat de la partition. Tout y est, sans pourtant ce je-ne-sais-quoi qui rendrait musicale la performance plutôt que simplement performante. Ce soir, l’on ne rencontre aucune urgence, pas plus de frémissement que de sens du drame. Les événements sont balisés par quelques coups de gueule, sans plus.

L’unique satisfaction de la soirée vient de la distribution vocale où se remarquent la Serena d’Angela Renée Simpson, l’émouvante Clara de Laquita Mitchell, le fort beau chant d’Eric Greene en Jack, et le couple-titre : Kevin Short au timbre riche bien qu’accusant des soucis de souplesse dans l’aigu (Porgy) et l’attachante Bess d’Indira Mahajan dont l’opulente projection vocale surprend positivement. Demandons à nos souvenirs de ne garder de cette représentation, à mi-chemin entre la comédie musicale mal ficelée et l’opéra en cours d’élaboration, que l’impact de son efficace quintette.

BB