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Chroniques
Pli selon Pli et Amériques par Matthias Pintscher
Orchestre du Conservatoire de Paris, Ensemble Intercontemporain
Nous l’attendions avec impatience, cette fameuse Philharmonie de Paris ! Aussi est-ce bien normal que moins d’un mois après son inauguration, le chef-d’œuvre de Pierre Boulez tente de sonner dans cet espace encore un brin mal léché. Car le projet d’un pôle où l’on viendrait vivre sous toutes ses formes la musique, c’est bien de Boulez qu’il nous vient ! Comme aux temps bénis où le maître demandait à ses complices de l’Ensemble Intercontemporain d’encadrer les jeunes de l’Orchestre du Conservatoire dans la préparation d’œuvres à grand effectif, c’est Matthias Pintscher [photo], l’actuel directeur du célèbre groupe de solistes français spécialiste du répertoire d’aujourd’hui, qui rassemble les uns et les autres dans un programme-fleuve. Aussi la salle résonne-t-elle sympathiquement du caquetage des mamans, papas, petits frères, grandes sœurs et mamies venus en nombre écouter leurs talentueuses têtes blondes. Et l’on s’en réjouit : enfin un plateau parisien qui n’aura pas à jouer devant un parterre au deux tiers vide !
Car sans cette circonstance particulière, où est le public mélomane à l’heure actuelle ? Il y a franchement de quoi poser la question… Pour l’heure, Pli selon Pli et Amériques ne seront pas données pour les plâtres, tant mieux. Car aux étudiants du CNSMD de Paris, édifice qui fait lui aussi partie du complexe de la Porte de Pantin, avec la Cité de la musique (aujourd’hui débaptisée Philharmonie 2) et le grand tralala inachevé de Jean Nouvel [lire notre dossier de janvier], sont confiées deux pages d’importance, l’une signées Varèse, l’autre Boulez himself. Prototype absolu du work in progress cher au compositeur français qui fêtera quatre-vingt-dix ans d’ici quelques semaines, l’aventure mallarméenne de Pli selon Pli commença dès 1957 pour se voir ajouter plusieurs mouvements au gré de nombreuses révisions, jusqu’à la version définitive de 1989. Ce soir, le soprano Marisol Montalvo est littéralement enfoui sous la complexité orchestrale, selon le vœu avoué de Boulez… voire un peu plus, même, car le chef allemand n’a cure de juguler sa main lourde. On n’entend plus la chanteuse, passons. Mais entend-on les instruments ? Pas plus. On ne perçoit qu’un grand brouhaha « louré » qui, dans ce nouveau temple d’Euterpe, convoque pingouins, orques et otaries sous le bocal…
Ne restons pas sur cette déception, Amériques nous attend. Voilà qui tient du miracle : la manière à la fois brutale et nonchalante de Pintscher ne parvient pas à éroder le monument d’Edgar Varèse. Au contraire, il semble même que sa lecture non seulement heurtée mais encore toujours molle conviennent relativement bien à l’œuvre, et s’il n’en va pas de même de l’acoustique terriblement imprécise de la Philharmonie, l’auditeur parvient tant bien que mal à se frayer un chemin dans la dense forêt sonore qui l’entoure. Quant à savoir si ce chemin-là honore la partition, Varèse seul le sait…
HK