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Chroniques
Pierre et le loup
conte musical de Sergeï Prokofiev
À destination d’un public scolaire, certains compositeurs ont fait acte de pédagogie, comme Britten avec The Young person's guide for the Orchestra ou Isabelle Aboulker avec Les Fables enchantées, mais aucun n’égale en renommé Sergeï Prokofiev (1891-1953) qui écrivit en 1936 la pièce symphonique Pierre et le Loup. L’œuvre en trois parties (exposition, action, dénouement) se veut didactique, puisque chaque personnage de l’histoire est représenté par un timbre musical typé : Pierre par un quatuor à cordes, Grand-Père par un basson, le loup par trois cors, etc. Campé près d’un livre géant, l’Américain Branch Worsham, mime et narrateur efficace, nous explique la règle du jeu avec un accent fortement dépaysant – même s’il n’évoque pas la steppe enneigée ! Il insiste sur un point : nous allons voir certains personnages, et d’autres non (l’oiseau, le canard, le chat). C’est notre imagination qui devra alors intervenir, cette faculté qui nous permet de lire un ouvrage, d’écouter de la musique, bref, qui nous anime sitôt éteint le téléviseur.
Le rideau s’ouvre enfin sur un plan incliné, découvrant un bout de chemin, une clairière miniature entourée d’arbres qui touchent les cintres. Saluons d’emblée Gérard Demierre, le metteur en scène, et Jean-Marie Abplanalp, le décorateur, pour ce bel univers. D’ordinaire, on se met en frais pour les spectacles de grandes personnes, et on réserve pour les enfants les tréteaux et les bouts de chiffons. Or, Demierre co-dirigeant depuis quinze ans le Petit Théâtre de Lausanne (un des coproducteurs du projet), se veut attentif à des représentations de grande qualité, quel que soit le public. Ici, tout aura été soigné, des costumes à l’éclairage, et Aurélien Gschwind peut alors sortir du livre pour incarner un Pierre frondeur et expressif, de même que Gilbert Divorne, son bougon de tuteur.
L’œuvre ne dure pas une œuvre, et c’est un plaisir de voir comment Demierre a jonglé entre poésie et humour en dosant les effets : une ou deux plumes, pas plus, tombent de l’arbre ; le gag du canard s’enfuyant sous un tissus est exploité sans abus, etc. Le plus réussi est d’avoir conservé au loup son aura terrifiante puisqu’il apparaît le plus souvent en silhouette, à pas de loup en fond de scène, derrière un tulle tendu entre les troncs. Quand il s’approche de nous, c’est de face, dans la pénombre, avec de petits yeux lumineux... Bien sûr, il finit par être attrapé, et Pierre porte en trophée sa tête dentue durant la marche triomphale : l’animalité est vaincue ! En phase avec cette évocation subtile de l’enfance victorieuse, Hervé Klopfenstein dirige avec beaucoup d’élégance l’Orchestre du Conservatoire de Lausanne.
LB