Chroniques

par bertrand bolognesi

Pierre Boulez dirige les Berliner Philharmoniker
Webern Op.6 n°4, un rituel incandescent

Festival d’Aix-en-Provence / Grand Théâtre de Provence
- 7 juillet 2007
Pierre Boulez à la tête des Berliner Philharminer joue Webern, Bartók, Schönberg
© dr

C’est dans un flambant neuf Grand Théâtre de Provence, conçu par Vittorio Gregotti, consacré par Die Walküre il y a une semaine, que Pierre Boulez retrouve cet après-midi les musiciens berlinois, musiciens desquels il ne s’éloigne d’ailleurs jamais beaucoup, comme en témoigne encore tout récemment sa collaboration au cycle Mahler donné en Brandebourg. Comme à son habitude, il a imaginé un programme d’une parfaite cohérence où la liberté de ton de Bartók introduit une expression plus radicale, elle-même cautérisée, pour finir, par l’héritage encore romantique de Berg, les œuvres couvrant juste cinq années (1909 à 1914).

La grande distance choisie par Boulez surprendra, de prime abord. Ainsi, pour richement symbolistes que ses textures se trouvent affirmées, l’Opus 12 de Bartók se circonscrit, en dépit des contrastes qu’il pourrait offrir. Le Prélude demeure mystérieux, le chef dosant soigneusement de savantes demi-teintes où sourd à peine un lyrisme debussyste contenu. Moins impulsif qu’on s’y attendrait, le Scherzo entretient cependant un vrai relief, sans fièvre aucune. Pourtant, un rien de cette sauvagerie du Mandarin merveilleux ou de l’Allegro barbaro étoilera les derniers pas de la pièce. Tout en profitant de l’excellence de chaque pupitre, et plus particulièrement des bois, Boulez désamorce la danse latente de l’Intermezzo dont il dessine la conclusion en un geste presque funèbre. De fait, la Marche funèbre finale rencontre une digne fermeté dont l’indicible gravité envahit le concert.

Pénétrer pour la première fois dans un nouveau théâtre, c’est en apprécier l’acoustique. Force sera de constater que celui-ci offre une définition précise des sources sonores tout en accusant une relative étroitesse d’espace des ensembles. Le rendu paraît alors assez petit, comme s’il éloignait étrangement l’écoute du cœur de l’impact. Bien qu’il soit sans doute nécessaire de réévaluer cette approche encore fraîche en fin de concert, l’indéniable nerf de la première des Cinq pièces Op.16 de Schönberg s’en trouve terni. Dans la lumière des bois, à travers une précarité toute chambriste des cordes et le fondu des cuivres en manière d’orgue, Pierre Boulez esquisse discrètement la langueur de la seconde, ciselant ensuite l’inquiétude de Couleurs ou Matin d’été sur un lac dans la brièveté de laquelle s’accusent quelques touches, coups de couteaux de Strindberg à ses ciels gris. Le contraste poignant de Péripétie opère alors aisément, le Récitatif conclusif s’éteignant calmement.

L’on croyait être moins surpris par l’Opus 6 de Webern que Boulez dirige assez souvent. C’est pourtant le rendez-vous choc du concert, le chef signant une interprétation qui laisse pantois. La première des Six pièces est amorcée dans une grande distance, d’une gravité pudique. Bewegt oppose au désert une tentation d’emphase qu’il laisse avortée, tandis que l’épisode suivant radicalise la nudité d’une déploration. Mais c’est avec Langsam, marcia funebre, la quatrième pièce, que l’on atteindra le sommet. Boulez en fait un grave rituel dont il monte le climaxjusqu’à l’incandescence. Après cela, rien ne sera plus comme avant : doux et triste, le pénultième mouvement cède la place aux errements aphoristiques d’un Zart Bewegt résigné.

Pour finir, nous retrouvons les Trois pièces Op.6 de Berg qui font soudain sonner tout différemment la salle, de sorte qu’on nuancera le propos tenu plus haut, considérant que peut-être le chef retenait auparavant l’impact sonore qu’il libère à présent. Un nouvel espace s’avère opérationnel, sonnant avec une densité étonnante, partant que Pierre Boulez émancipe sa lecture de la distance évoquée, pour une musique qui s’inscrit plus naturellement dans une continuité romantique. Après un Prélude recourant à des effets plus directs, l’on admire la couleur obtenue par l’association d’harmoniques sifflées (violons) aux phrases tendues et tuées dans l’œuf (violoncelles) qu’éclairent les bassons (Reigen), ainsi que l’exquise rondeur de sonorité du premier violon. Dans l’ultime Marche, Boulez ne traîne ni pour installer le mouvement ni pour animer sa dynamique dont l’infernale et bondissante effervescence n’aura d’égale que l’épaisseur mahlérienne tôt contrariée par la violente crudité de la ponctuation finale.

BB