Chroniques

par bertrand bolognesi

Philippe Jordan embarque son orchestre
Britten, Chausson, Debussy et Mendelssohn

Opéra national de Paris / Palais Garnier
- 26 mars 2010
le chef d'orchestre suisse Philippe Jordan, patron musical de l'Opéra de Paris
© jf.leclerc

Comme en prélude à la reprise de Billy Budd, c’est un concert tourné vers l’océan que dans une forme olympique présente ce soir l’Orchestre de l’Opéra national de Paris. Impossible de manquer de cohérence avec la mer en thématique, bien sûr, bien que l’on regrette l’opus 37 d’Edward Elgar – le fort beau cycle Sea Pictures pour mezzo-soprano et orchestre, achevé en 1899 –, d’abord annoncé, et remplacé par le plus habituel Meeresstille und glückliche Fahrt Op.27 de Felix Mendelssohn.

Le jeune directeur musical de l’Opéra, Philippe Jordan, tisse avec cette page un lien avec Rheingold qu’il dirige en ce moment. Calme, la mer, dont il soigne dès l’abord le paysage, l’est assurément, profitant de la profondeur des cordes graves pour inviter la musique à sourdre de la scène, pour ainsi dire. Dans une infinie souplesse, il en dessine parfaitement les échanges solistiques, circonscrivant adroitement la nuance en toute discrétion, réservant pour le voyage ce qu’il ne livre pas dans l’esquisse. Et quel voyage ! – enthousiaste et comme d’une fraîcheur inépuisable à l’étonnement communicatif. Faisant sonner le plus cru de la timbale comme le plus clair de la fanfare sur le resserrement de la tension croissante, le chef fond habilement les niveaux pour le retour énigmatique du moelleux initial. Le résultat est tout simplement somptueux, révélant une fois de plus, si besoin était, l’excellence de l’orchestre.

Deux partitions françaises glissent l’écoute d’un romantisme tardif vers un symbolisme abusivement dit « impressionniste »,en route vers l’abstraction. Philippe Jordan offre une généreuse expressivité au Poème de l’amour et de la mer Op.19 d’Ernest Chausson, sans couvrir jamais la voix, goûtant en gourmand les moindres détails de l’orchestration tout en jouant avec franchise le figuralisme lyrique de l’œuvre. L’inflexion des cordes garde en souvenir Mendelssohn mais aussi Wagner, osant sonner parfois moins français qu’on l’attendrait, ce qui éclaire judicieusement l’écoute.

Après avoir conclu d’un grand souffle le large geste final de La fleur des eaux, il cisèle l’Interlude, soutenant de pizz’ graves largement portés le tendre trait du basson. De fait, indépendamment du thème de la soirée, voilà bien un passage propre à mettre en valeur les solistes de son orchestre ; aussi ne s’en prive-t-il pas. Le chemin dramatique de La mort de l’amour s’impose fermement, sans excès cependant, dans une sonorité savamment sournoise à la désolation dangereuse. Moins probante s’avère la prestation de Sophie Koch : certes, l’aigu éclaire la partition assez évidemment, mais le grave, plutôt éteint, n’y suffit pas. Si de prime abord le format vocal paraît confortable, on en saisit bientôt le trop peu d’espace et de réserve, forçant toujours le chant à la limite des possibilités, ce qui affecte autant la diction que le style.

Luxuriant orchestre au chant toujours remarquablement servi par son chef, dans De l’aube à midi sur la mer qui, pourtant, manquera de fluidité. Le problème se résout dans Jeux de vagues, la seconde des trois esquisses symphoniques à former La mer de Claude Debussy. En revanche, c’est une certaine tendance au rubato appuyé qui terni l’interprétation. De même la tension n’atteint-elle pas un degré suffisant de prégnance pour le Dialogue du vent et de la mer, malgré un remarquable travail de texture.

Nous annoncions Billy Budd pour ouvrir cette chronique : c’est avec Peter Grimes, son ainé de six ans, que l’on aborde les côtes du Suffolk à travers les Four Sea Interludes de leur fils, Benjamin Britten. Diablement incisif, les violons de Dawn affirment une précision qui n’a d’égale que l’efficacité des cuivres. L’inflexible régularité du carillon de Sunday Morning enserre un entrelacs mélodique servi avec un grand raffinement chambriste. De même apprécie-t-on la dynamique minutieusement choisie de l’éternel recommencement du motif de cordes (presque une scansion) de Moonlight et le grand déploiement de Storm où déferle la vague, méchante, sans s’élever assez : une certaine respiration, somptueusement musicale, assurément, n’ose pas la démesure là où l’œuvre le demande. Demeure une fort belle interprétation qui, sans faire chavirer, montre à quel point Philippe Jordan travaille en bonne intelligence avec ses musiciens.

BB