Chroniques

par gérard corneloup

Peter Grimes
opéra de Benjamin Britten

Opéra national de Lyon
- 10 avril 2014
Peter Grimes, opéra de Benjamin Britten
© jean-pierre maurin

Serge Dorny, lequel conservera finalement son poste de directeur de la salle lyrique lyonnaise après l’avortement de son installation à la tête de la Semperoper de Dresde, a instauré, il y a quelques années, la présentation annuelle d’un festival organisé autour d’un thème ou d’un compositeur. Benjamin Britten est au programme ce printemps, à travers une trilogie réunissant deux nouvelles productions, l’une de son Peter Grimes, l’autre de son Turn of the screw, complété par la reprise du Curlew River donné en 2008.

Peter Grimes ouvre la série – on n’ose dire le bal. En vue de sa création londonienne en janvier 1945, cette œuvre fut commencée en 1943, à partir d’un long recueil de George Crabbe, poète et entomologiste du siècle précédent : The Borough, soit Le Bourg. Il s’agit là d’un bourg portuaire banal et potinier, où tout le monde se connaît, s’observe et joue son rôle, même modeste mais soigneusement fixé – chacun à sa place et dans le rang. Malheur à qui n’entre pas dans le moule, vit sa vie, joue à part, sans tenir compte du qu’en-dira-t-on. Ainsi le pêcheur Peter Grimes, solitaire, violent, mal dans sa peau, qui maltraite ses jeunes apprentis. On dit même qu’il les brutalise à les en faire disparaître. On en parle dans le village, des notables aux filles de joie. Les commentaires vont bon train. Quelques-uns, quelques-unes (comme l’institutrice Ellen) prennent la défense de cette âme malade. Mais l’arrivée d’un nouveau mousse récupéré dans un asile, à son tour brutalisé devant témoin et qui se tue par accident, déchaîne le courroux collectif. Une chasse à l’homme s’organise : pour éviter le lynchage, Peter prendra son bateau et ira s’engloutir au large.

On imagine les directions que peuvent prendre les approches dramatiques et scénographiques d’un tel ouvrage, entre l’espionnite quasiment tribale d’une collectivité fruste et le mal-être de l’individu marginal, isolé, fruste lui-même, vivant de surcroît des relations confuses, pour ne pas dire équivoques, avec les jeunes gens. En toile de fond, l’omniprésence d’une mer qui scelle la vie commune, apportant le travail… et les victimes. La grande réussite du metteur en scène japonais Yoshi Oida, assisté de Robert Kealey, est d’avoir su activer ces diverses composantes, de les avoir mêlées, fusionnées, sans qu’aucune ne dévore les autres. Les décors de Tom Schenk, jouant habilement sur le mouvement de containers mus par des techniciens entrant eux-mêmes dans le jeu, les costumes de Richard Hudson qui mêlent les époques avec art et même, partiellement, les éclairages de Lutz Deppe, synthétisent parfaitement tout cela en un élément aussi présent qu’efficace. Terriblement humain.

Les composantes musicales bénéficient de la même homogénéité, à commencer par les Chœurs de l’Opéra national de Lyon dirigés par l’efficace Alan Woodbridge, une nouvelle foi parfaits d’homogénéité vocale et de présence théâtrale. Autour du tout jeune Marin Bisson (John l’apprenti qui finit mal), issu de la maîtrise maison, la distribution décline les mêmes qualités « mixtes », tant vocales que scéniques, à commencer par la touchante Ellen de Michaella Kaune, fort bien entourée par Rosalind Plowright (redoutable Mrs. Sedley), Kathleen Wilkinson (Tantine, la tenancière), Andrew Foster-William (Balstrode), Benedict Nelson (l’apothicaire Ned Keene), etc. Il est dommage que le ténor Alan Oke reste un peu en marge de ce brillant et parfaitement adapté cénacle, dans le fondamental rôle-titre. Dramatiquement, sa prestation est fascinante, émouvante dans le personnage bourru qui ne comprend visiblement pas intégralement ce qui lui arrive ; mais il y a aussi le chant… Certes, il ne faut pas, ici, un ténor léger, mais tout de même un chant homogène, bien timbré, sachant être parfois emporté mais aussi bien ponctué, souple et délié. C’est loin d’être le cas.

Dirigeant avec brio et efficacité, il y aussi le chef d’orchestre permanent de l’institution lyonnaise, Kazushi Ono, particulièrement à l’aise dans le monde Britten – comme dans ceux de Prokofiev et de Berg qui lui vont nettement plus que Verdi et Massenet. Direction précise mais active, vivante, vibrante même, coordonnant avec art la scène et la fosse, tirant de réelles beautés d’un orchestre en grande forme. Bref, il donne à l’œuvre tout son relief, son intensité, toute sa densité, donc sa richesse et sa beauté.

GC