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Chroniques
Paul Daniel joue Boulez, Ravel et Wagner
Nathalie Stutzmann, Orchestre national Bordeaux Aquitaine
Bordeaux a désormais pris conscience de son incontestable potentiel d'attractivité. Sa programmation culturelle en témoigne, inaugurant cette année un nouveau rendez-vous pluridisciplinaire pour la rentrée, le Festival international des Arts de Bordeaux Métropole, qui reprend l'élan initialement impulsé par Novart, désormais mutualisé avec un calendrier avancé sous ce nom inédit au plus local Des souris, des hommes. Coïncidant avec l'événement, l'ouverture de la saison symphonique de l'Orchestre national Bordeaux Aquitaine gagne en relief opportun : pour ce premier concert, le directeur musical de la phalange girondine a choisi de mettre en avant des parentés entre répertoires français et germaniques à la façon d'un hommage à Pierre Boulez, duquel Figures-Doubles-Prismes introduit la soirée, après quelques mots préliminaires.
À l'évidence, la modernité ne fait plus peur, en passe de devenir classique.
Développement, une décennie plus tard, d'une page commandée à Boulez en 1958 par les Concerts Lamoureux, intitulée alors Doubles, Figures-Doubles-Prismes se présente, pour reprendre les mots du compositeur lui-même,« comme une série de variations pour grand orchestre », jouant de déplacements formels, thématiques et mémoriels éclatant l'unité symphonique en de multiples cellules instrumentales qui se rejoignent parfois en tutti, où se manifeste une admirable maîtrise rythmique bien restituée par la lecture analytique ici proposée. Pour autant, cela ne cède jamais à l'intellectualisme. Non content de souligner la clarté d'une écriture qui assume sa filiation avec une certaine tradition considérée comme française, Paul Daniel encourage une dramaturgie de la virtuosité qui tient efficacement le spectateur en haleine.
Artiste associée de l'Opéra national de Bordeaux, Nathalie Stutzmann contribue à appuyer la dimension emblématique du présent concert en interprétant les Wesendonck Lieder dans l'orchestration d’Hans Werner Henze, respectueuse des intentions intimistes de Richard Wagner, que la baguette du chef britannique magnifie avec un exceptionnel sens du détail et de la limpidité. La puissance évocatrice des bois affleure dès Der Engel et s'épanouit dans Stehe still où le murmure du contralto compense intelligemment une vocalité que d'aucuns qualifieront de chambriste. Im Treibhaus ne dément point cet instinct du texte qui ne verse jamais dans le sentimentalisme. La décantation de la pâte orchestrale éclaire les couleurs et les affects et participe d'une pudeur presque inouïe dans le cycle, que ne trahiront pas les deux derniers poèmes –Schmerzen et Träume.
Si le Prélude et L'Enchantement du Vendredi Saint tirés de Parsifal font appel à un grand effectif approchant la centaine, la dynamique herméneutique précédemment décrite ne s'altère guère. Lumineuse et aérée, la direction n'éprouve pas le besoin d'appuyer quelque pesant mysticisme pour faire rayonner l'intensité de la partition, dans des textures allégées pour d'aucuns, mais nullement appauvries – au contraire.
Ce raffinement sied, bien entendu, à la Suite n°2 de Daphnis et Chloé de Maurice Ravel, dont les trois épisodes seront également enchaînés sans pause, faisant goûter les pastels irradiants du Lever du jour et une Pantomime pleine d'esprit, avant une Danse générale étourdissante qui confirme le remarquable travail de Paul Daniel à la tête de l'ONBA.
GC