Chroniques

par bertrand bolognesi

Parsifal | Perceval
Bühnenweihfestspiel de Richard Wagner

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 4 mars 2008
Ruth Walz photographie Parsifal à l’Opéra Bastille (Paris)
© ruth walz | opéra national de paris

Certains spectacles sont particulièrement attendus. C’était le cas de ce Parsifal, à plus d’un titre : s’agissant d’une nouvelle production, d’abord et tout simplement ; confiée à l’une des rares têtes pensantes de ces démiurges appelés metteurs en scène, ensuite ; enfin, parce certaines indiscrétions relayées par un blog de bas étage (d’éminente signature, pourtant) firent état d’une répétition générale houleuse avant même qu’au public ne fût montrée cette première.

On ne peut que se réjouir de voir réunie sur ce plateau une distribution d’une grande classe. À commencer par les solides Scott Wilde et Gunnar Guðbjörnsson en Chevaliers du Graal, doubles troublants. Les quatre Pages satisfont également, et plus particulièrement le ténor incisif de Jason Bridges et le robuste baryton de Bartłomiej Misiuda. Par la profondeur de la couleur, l’aura naturelle de l’artiste et le rayonnement du grave, le Titurel de Victor von Halem s’avère saisissant. On retrouve le grain personnel du timbre toujours solidement projeté de Franz Josef Selig, excellent Gurnemanz, évoluant de la franchise à la tendresse. Klingsor est servi par la puissance imposante d’Evgueni Nikitin, volontiers agressif, remarquablement confortable. C’est un Amfortas d’une grande sensibilité que compose Alejandro Marco-Buhrmester, dans une couleur à la fois sombre et cuivrée, nuançant subtilement, par une conception quasi Lied du chant qui suggère la force inexorable de la fragilité somatisante. Énième Kundry pour Waltraud Meier, sachant se faire toute onctuosité lorsqu’elle prononce pour la première fois le nom du héros, mais accusant aujourd’hui, au delà d’une incarnation fascinante – quoiqu’un peu trop théâtrale pour intégrer l’option générale du spectacle –, un aigu disjoint des autres registres et une intonation souvent brouillée dans le grave. Enfin, Christopher Ventris donne un Parsifal évident dont le chant, étonnamment aérien si on le compare à la manière dont il en use pour d’autres rôles, charme l’écoute.

Affirmant une nouvelle fois sa santé confondante, l’Orchestre de l’Opéra national de Paris offre un instrument de rêve à la baguette d’Hartmut Haenchen, plus inspirée par Wagner que par Strauss [lire notre chronique du 27 septembre 2006]. Ce soir, la solennité ne se fait pas handicap, l’articulation est leste, l’impact tiré vers la clarté en un geste d’une tonique rigueur. Quoique laissant regretter des aléas de justesse chez les dames (fin du premier acte), le Chœur se montre, dans l’ensemble, fiable et vaillant.

Plus timoré qu’on l’aurait supposé, Krzysztof Warlikowski signe une mise en scène scrupuleusement respectueuse des intentions du compositeur, mises en perspective par une conscience aigüe de l’histoire contemporaine. La représentation s’inscrit dans une chronologie discrète qui fait néanmoins référence à l’Allemagne de Weimar à Nürnberg. Avec la complicité de la fidèle Małgorzata Szczęśniakpour les décors et les costumes et du vidéaste Denis Guéguin, l’artiste polonais place décidément son Parsifal sous le signe de l’innocence, via l’Amour, la Foi et l’Espérance, trois mots écrits d’une main d’enfant pendant le prélude de l’Acte I, conjuguant ensemble la Force, ainsi que le suggère la renaissance du dauphin et l’Enchantement recouvré.

Avec son amphithéâtre et son bloc opératoire, c’est dans un hôpital-école que souffre Amfortas. Au registre de signes et de symboles déployé par les projections répondent des détails réalistes, comme la dépouille du cygne, le bordel des filles-fleurs ou l’enfant qui soigne les jeunes pousses d’un potager. Inventive, sensible, poétique et tendre, cette production fait simplement confiance au texte et à la musique. En plaçant le chœur féminin dans les baignoires de côté, elle englobe le public dans la cérémonie.

Wagner nous parle de guerre, de péché, d’expiation, de repentir, de pardon. C’est bien de cela que se nourrit la vision de Warlikowski qui introduit le dernier acte par le suicide de l’enfant blond assassin d’Allemagne année zéro (film tourné par Roberto Rossellini en 1947 dans les ruines berlinoises). Après une première vague de protestations à la vue du carton liminaire du cinéaste, une partie du public se déchaîne sur une projection qui dure moins d’une minute. Dès la dixième seconde, des voix fusent : « Musique ! », « Ça suffit, Wagner, WAG-NER !!! », «’Y en a marre ! », « C’est avec nos impôts que vous vous amusez ! », etc. Entre les Chut et quelques velléités d’applaudissements, à une dame qui ose « Un peu d’ouverture d’esprit » il est rétorqué « Ta g…, communiste ! ».

Rien ne saurait mieux que cette violence-là donner raison au metteur en scène d’avoir choisi les larmes d’un enfant qui définitivement le jettent dans le vide ; elles révèlent terriblement ce qui soutient les huées. L’intolérance, l’étroitesse de vue et l’imbécilité de quelques Parisiens, jouets dociles d’une cabale stupide qui entend interdire à l’artiste de s’exprimer, nous font faire ce triste constat : France degré zéro.

BB