Chroniques

par bertrand Bolognesi

Orchestres de la Tonhalle de Zurich et de la Suisse Romande
David Zinman joue les Gurrelieder d’Arnold Schönberg

Septembre musical de Montreux / Auditorium Stravinsky
- 12 septembre 2010
le chef David Zinman photographié par Priska Ketterer
© priska ketterer

Une œuvre si rarement jouée que les Gurrelieder et convoquant un tel effectif vient fastueusement couronner une riche quinzaine de concerts tous azimuts et donne avantageusement rendez-vous au public à l’édition 2011 du Septembre musical de Montreux. Pour ce programme repris à Lucerne dans quelques jours, Tobias Richter (directeur du festival lémanique) a réuni les forces de deux orchestres et de trois chœurs. Ainsi les artistes du Chœur d’État de Lettonie, du Chœur de femmes du Grand Théâtre de Genève et du Norddeutscher Rundfunk Chor conjuguent-ils leurs talents avec ceux des musiciens de l’Orchestre de la Tonhalle de Zurich et de l’Orchestre de la Suisse Romande pour servir cette grande fresque postromantique conçue par Schönberg dès 1900 et achevée bien des années plus tard. En février 1913, le jeune Franz Schreker en dirigeait la création – l’on ne pourra s’empêcher d’entendre dans ses Gezeichneten, l’opéra qu’il commence de composer cette année-là (créé à Francfort au printemps 1918), la trace évidente du tintement initial du Vorspiel de son aîné.

Au pupitre, David Zinman impose une lecture d’abord sobre de l’œuvre, quoique rencontrant par moments des difficultés à équilibrer ses troupes pour ne pas couvrir les voix. Si séduit d’emblée la remarquable clarté dudit tintement, dans une régularité et un maintien étal de la dynamique, la sonorité s’affirme bientôt profonde, l’inflexion discrètement lyrique, mais la couleur plutôt terne. Sans doute les Gurrelieder nécessitent-ils un travail plus ciselé et un engagement plus grand pour tracer son chemin dans leur facture assez curieuse qui fait se croiser Wagner, Strauss, Zemlinsky et Mahler non sans un certain génie.

Il reste malaisé au chroniqueur de confronter cette exécution à ses souvenirs, tant l’œuvre demeure rare – pour notre part, nous n’en sommes qu’à notre troisième fois –, partant qu’il serait malvenu de parler des enregistrements grâce auxquels l’opus lui est cependant bien connu. Mais il semble que l’interprétation d’aujourd’hui manque de nerf, voire de précision. Si assembler deux orchestres n’est certainement pas le plus confortable des sports, on est, en revanche, surpris par l’homogénéité qu’obtiennent les trois chœurs.

Saluons les voix de cette grande cantate d’une heure quarante cinq.
À Waldemar, le grave musclé et l’aigu lumineux de Stephen Gould offrent une palette dignement nuancée, entre la tendresse la plus délicate et une franche vaillance à peine métallique. L’extrême clarté d’Andreas Conrad paraît idéale pour Klaus. Malencontreusement, le récitant de Wolfgang Schöne s’avère insuffisant à raccorder à Pierrot lunaire cette partition encore proche de Pelléas et Mélisande. Christine Brewer met beaucoup de temps à posséder son instrument, livrant une Tove laborieuse, engorgée au début, acide, raide, qui libère enfin une voix chatoyante dans son dernier air. Enfin, si le Paysan de Stephen Powell est satisfaisant, la Voix du ramier (Waldtaube) bouleverse : l’excellente Petra Lang emporte l’écoute comme personne, d’un chant souple, puissant, chaud, richement coloré et indiciblement expressif, mais, avant tout, grâce à une voix échappant à toute description. Si l’on est saisit dès les premiers mots, Tot ist Tove devient simplement terrible, vous prend tout entier. De fait, son intervention survenant en fin de première partie, la reprise du concert, après l’entracte, semble d’autant plus terne.

BB