Chroniques

par gérard corneloup

Orchestre Symphonique de Saint-Étienne
Nathalie Manfrino, Markus Werba et Laurent Campellone

Biennale Massenet / Opéra-Théâtre de Saint-Étienne
- 4 décembre 2012
Nathalie Manfrino et Markus Werba chantent Massenet à Saint-Étienne
© cyrille cauvet | opéra-théâtre de saint-étienne

Création mondiale à Saint-Étienne. Tel est le slogan choc qu’aurait pu afficher, en clôture, la Biennale Massenet. Une création pas vraiment comme les autres, d’une œuvre plus que centenaire mais totalement inconnue. Une partition de l’enfant du pays, perdue dans les archives, et que Laurent Campellone, directeur musical et chef d’orchestre curieux, a décidé de faire renaître pour deux soirs. D’abord dans la ville natale de Jules, ensuite dans la capitale elle-même [Opéra Comique, le 7 décembre]. On n’y rencontre pas vraiment un chef-d’œuvre, mais l’occasion de constater, une nouvelle fois, les qualités de manager musical du maestro et les qualités de l’Orchestre Symphonique de Saint-Étienne qu’il a su hisser dans le peloton de tête.

Comme point de départ, inattendu de cette rareté absolue baptisée Visions et qualifiée de « poème symphonique », l’on trouve la découverte par Massenet d’un nouvel « instrument musical » singulier, sans doute made in England ou USA, qualifié… d’électrophone. Une sorte de grosse machine encombrante autant que grinçante, avant-garde de la technologie hightech façon Belle-Époque, qui a visiblement passionné notre compositeur alors lancé dans l’écriture de sa Thaïs. Il décide donc d’intégrer ledit électrophone dans le prochain Visions : il est noté sur le manuscrit autographe de la partition. On n’en sait guère plus, sinon que la chose ne s’avère pas vraiment concluante et que l’idée est finalement rejetée. L’œuvre ne sera donnée qu’en 1895, en Angleterre, puis à Nancy l’année suivante, mais sans électrophone, avant de sombrer dans l’oubli

L’orchestration joliment traitée de cet ancêtre des « musiques mixtes » joue de belle façon avec les timbres des divers pupitres, tant du côté des vents que de celui des cordes. Quant à la partie « électronique » un rien hétérogène, réalisée tant bien que mal dans la cité stéphanoise, sa discrétion évite tout commentaire.

Comme il fallait bien étoffer le concert, l’idée vint de compléter la soirée avec la fatale et sirupeuse Thaïs. Non pas l’intégrale, chœurs compris, mais une sélection d’airs et duos – d’amour bien sûr – mettant en scène les deux héros de l’affaire : le mystique Athanaël, pourfendeur de la luxure païenne, quoique sensible à ses charmes manifestes, et la lascive Thaïs, courtisane active qui « finit mal » du point de vue son activité lucrative, puisque c’est en odeur de sainteté qu’elle mourra. Le scénario intègre curieusement un journaliste du XXIe siècle qui le présente.

Dans le rôle de l’anachorète ébranlé par la séduction féminine, le jeune baryton autrichien Markus Werba, qui maîtrise fort habilement la langue du librettiste Gallet, possède bien des atouts, même si son chant, son élocution, sa présence même, semblent plus propices à Mozart qu’à Massenet – il fut un remarquable Don Giovanni à Lyon [lire notre chronique du 10 octobre 2009]. Dans celui de la séductrice Thaïs, rôle demandant une intelligence scénique rare, à côté d’un registre aussi souple et polychrome que large et épanoui, le soprano français Nathalie Manfrido ne remplit que bien partiellement la tâche. Si, après une bonne demi-heure de scène, le chant se décontracte un rien, le timbre est dur, encore plus l’aigu, entaché par un vibrato indiscret, et le médium s’avère plus souvent tendu et rugueux que charmeur…

Grand gagnant de l’affaire, sous la direction généreuse, lyrique autant qu’attentive et précise de Campellone : l’orchestre stéphanois (une nouvelle fois), tous pupitres confondus, autour du violon solo de Lyonel Schmit, éblouissant dans la fameuse Méditation.

GC