Chroniques

par bertrand bolognesi

Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg
Iouri Temirkanov joue Mahler et Prokofiev

Salle Pleyel, Paris
- 20 février 2007
le grand chef Yuri Temirkanov photographié par Alexandra Kremer-Khomassouridze
© alexandra kremer-khomassouridze

Pour son concert parisien, l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg réunissait deux compositeurs chers à son chef Yuri Temirkanov. Ainsi entendit-on la Symphonie en ré majeur n°1 (la tonalité de ce programme) de Gustav Mahler, encore appelée Titan, selon une confusion entre le projet initial d'un poème symphonique devant porter ce titre et les libertés abusivement prises par éditeurs et publicistes.

Le chef russe amorce le Langsam initial dans une détente ténue, désignant bientôt une lecture sobre qui jamais n'abusera d'effets, et dont l'entrée des dix contrebasses cristallisera la tension. Le long préambule introduit discrètement le thème principal du mouvement, dans un tactus d'une grande souplesse et une relative suavité des cordes, avançant dans la montée exponentielle d'un joyeux cataclysme dont la salve s'avère d'une fermeté aboutie. On notera la gestion exemplaire de l'évolution des tempi, Temirkanov faisant évoluer la dynamique générale dans une réserve toujours extrêmement calculée.

À l'inverse, le deuxième épisode bénéficie d'une attaque plus épaisse, opposant à la franche vigueur de sa proposition une seconde partie à l'élégance littéralement aérienne. Temirkanov se garde bien d'alourdir la marche du troisième mouvement, livrant un Bruder Jacob plutôt alerte dont peu à peu l'emphase s'enfle comme une mer, laissant présager ce qui féconderait l'imaginaire musical d'un Chostakovitch, quelques décennies plus tard. La dernière reprise du célèbre motif rendu funèbre renferme sa charge de dangers où tout semble inquiet, un rien nauséeux, même, on pourrait dire kafkaïen – partant que Kafka riait des situations décrites dans ses propres écrits ; Mahler n'est certes pas loin de cette culture-là, du reste. Enfin, Stürmisch surgit dans un cinglant virage d'acier, entraînant un déchaînement farouche.

De cette exécution passionnante, on regrette toutefois le peu de fiabilité d'un pupitre de cuivres qui, de façon assez contradictoire, se joue aisément des interventions piano ou mezzo piano, réputées difficiles, et s'enlise lorsque la partition réclame la vaillance.

La première partie de la soirée se consacrait entièrement à Sergueï Prokofiev et à deux œuvres des commencements (l'auteur compte alors quelques vingt-cinq printemps). Passons vite sur un Concerto pour violon en ré majeur Op19 n°1 desservi par Sayaka Shoji. La jeune soliste arbore une sonorité finement ciselée, c'est indéniable, mais nettement trop maigre. On perd toute expressivité, d'une part, et surtout la cohérence générale, puisque l'orchestre s'en trouve contraint de jouer en sourdine. Si, dans l'Andantino, on admire l'art de Temirkanov, tant il réussit à mettre en valeur le violon, le Scherzo central s'avère tristement anecdotique. En revanche, le profond ancrage lyrique du dernier mouvement accuse l'évidence du déséquilibre des forces en présence.

Le meilleur (que nous avons gardé pour la fin de cette chronique) est au rendez-vous en ouverture, avec une interprétation exceptionnelle de la Symphonie en ré majeur Op.25 n°1 dite Classique. Après un Allegro d'une irrésistible fraîcheur expressive et d'une grande élégance, utilisant tous les ferments d'une partition déjà géniale, Yuri Temirkanov souligne la grâce indicible de la mélodie du deuxième mouvement, accordant une exacte fermeté à l'échange du basson et des pizzicati, avant un sourire haydnien où le recours à une tendresse vigoureusement soutenue n'accuse aucun excès de suavité ni de contraste. À la Gavotte il réserve une sonorité plus sucrée, avec un rubato qui rompt la discipline précédente. Enfin, l'effervescent Finale trouve avantage dans une articulation extrêmement leste, sans pour autant se livrer immédiatement. Nous goûtons donc une exécution d'une grande tenue dont en sont pas exclus souplesse ni enthousiasme.

BB