Chroniques

par bertrand bolognesi

Orchestre Philharmonique de Rotterdam
Valery Gergiev joue la Neuvième de Mahler

Festival de Saint-Denis / Basilique
- 5 juin 2004
le grand chef russe Valery Gergiev photographié par Sasha Gusov
© sasha gusov

La dernière demeure des rois de France abrite ce soir un concert de l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam que dirigea son actuel chef titulaire, Valery Gergiev. Le musicien russe conduit la dernière symphonie de Gustav Mahler dans une lecture cataclysmique qui révèle angoisses et drames.

Ouvrant la soirée sur un Andante commodo qu’il amorce avec une grande souplesse et un lyrisme omniprésent, Gergiev fond tous les fragments en un seul climat tout d’âpreté et de muscle, pourrait-on dire, durablement violent sans aucune brutalité, mais d’une sauvagerie génialement inspirée. Comme à son habitude, il fait entendre, dans une coloration riche et généreuse, le moindre détail d’orchestration – un tour de force dans cette acoustique. Il mord littéralement dans le Rondo en prenant un appui hargneux sur les cordes graves. N’hésitant pas à accentuer toutes les dissonances, il alterne judicieusement le miel inquiétant d’une valse hésitante qui jamais vraiment ne naît et une rage moqueuse et désespérée qui se fait peur elle-même. Dans un climat d’une noirceur absolue, ce qui doit être lent devient alors très lent, ce qui doit bondir court, ce qui doit courir vole – et sans doute ne marche jamais !

Le patron du Mariinski propose une version échevelée qui toutefois demeure en cohérence avec l’œuvre. Ainsi s’engage-t-il dans un troisième mouvement (Im Tempo eines gemädlichen Ländlers) des plus farouches où il trouve sans transition une légèreté chambriste quand il le faut. Diablement contrastée, tour à tour délicate ou tonitruante, cette page progresse dans une tension perpétuelle jusqu’à l’accord final ff que la Basilique fait retentir d’une telle superbe que les musiciens eux-mêmes regardent l’étendue vibrante de la nef en attendant que le son s’éteigne et que l’esprit gagne la lumière.

Après une exposition particulièrement nerveuse des cordes, Gergiev s’appuie sur la nudité du court solo de basson pour calmement construire son Adagio, mené dans un étirement jamais entendu, se mesurant peut-être lui-même à l’aune de l’acoustique locale, un étirement saisissant comme un endormissement ultime, une agonie sereine comme une élévation. Le public se suspend aux lèvres de l’orchestre, pour ainsi dire, respirant un silence de plus en plus grand, vivant une extinction qui bouleverse.

L’on a retrouvé le souffle personnel et la grande spiritualité des lectures gergieviennes tel qu’entendus il y a tout juste quatre ans à Rotterdam avec la même équipe dans la Symphonie en ut mineur n°2 « Résurrection ». Remarquons que cet orchestre d’une grande qualité a encore progressé depuis, offrant aujourd’hui d’excellents cordes, des cuivres vaillants et un équilibre général plus que satisfaisant. Une Neuvième exceptionnelle !

BB