Chroniques

par laurent bergnach

Orchestre Philharmonique de Radio France
Création de La pierre et l’étang (…les temps…) d’Ivan Fedele

Agora / Le Cenquatre, Paris
- 10 juin 2011

Par delà une apparente homogénéité – deux compositeurs de la même génération (l’Italien Ivan Fedele est né à Lecce en 1953, le Finlandais Magnus Lindberg à Helsinki en 1958), présentant chacun une partition d’une demi-heure qui intègre l’électronique, dans une thématique évoquant force et densité –, le programme de ce soir s’ingénie à mettre en évidence les antagonismes, tant par le contenu des œuvres choisies que par l’espace où celui-ci sera délivré.

Dans la Salle 400 du Cenquatre, matrice feutrée où le Quatuor Renoir, le percussionniste Daniel Ciampolini et le chef d’orchestre Ernest Martínez Izquierdo rejoignent une trentaine de cordes, se tient tout d’abord la création de La pierre et l’étang (...les temps...). Composée de quatre parties – Rocher englouti, Ricochet de galets, Pierre ponce, Pluie de cailloux –, l’œuvre se souvient de ce jeu d’enfant qui consiste à mettre en relation la dureté d’une pierre avec un élément éminemment flexible. Sans être purement illustrative, la musique réfléchit ici à la notion de pesanteur, de rebonds, de tension, de résistance, etc. Tour à tour, les instruments les plus aigus dessinent un ressac, les cordes graves (huit violoncelles et quatre contrebasses) font jaillir gouttelettes et éclaboussures tandis que le percussionniste muni comme chaque soliste de capteurs, passant successivement d’un instrument à l’autre (gong, cloches tubulaires, vibraphone, marimba, etc.), provoque de ses mains nues des éclatements de bulles vaseuses (cadence inscrite entre deux parties). Dans cette pièce riche et contrastée, qui favorise le miroitement d’une étendue étale mais sait aussi gazouiller, grésiller et s’esbaudir, la spatialisation joue un rôle métaphorique essentiel, comme le précise le compositeur, qui rêve de « dramatisation de l’espace » :

« La musique n’est plus un roman, qui se déroulerait dans le temps, mais un objet en soi : en ce sens, j’en appellerais plutôt à la sculpture, dont l’illumination et le point de vue varieraient au cours de la pièce. […] Cette approche suppose un rapport temporel tout à fait différent avec l’objet : une attitude qui relève de la contemplation, une perception qui préfère, au dévoilement d’un parcours narratif, la découverte progressive de la nature d’une matière sonore ».

L’entracte permet au public de rejoindre la Nef Curial, vaste espace de métal et de lumière au cœur de l’établissement voué à la production artistique, où il retrouve l’Orchestre Philharmonique de Radio France étoffé d’indispensables cuivres, toujours sous la direction d’Izquierdo. Muni d’un sifflet, ce dernier attaque Kraft, créé le 4 septembre 1985 dans la ville natale de Lindberg. Nous comprenons vite la nécessité de ce changement de salle puisque sept solistes sont amenés à circuler autour du public, pour jouer des percussions qui les attendent ici et là – ainsi, la violoncelliste Nadine Pierre frappe et fait tournoyer le gong de l’allée centrale. Pour sa part, Lindberg fait entendre un piano, un ressort de récupération, du papier de verre frotté, des galets cognés ou encore de l’eau d’un seau muni d’un tuyau d’arrivée d’air. Ces deux grands mouvements, suivis d’une coda relativement longue, nous épargnent heureusement le fortissimo continuel que laissent prévoir l’ouverture et le titre ; ils ménagent des moments plus paisibles, mais sans atteindre l’âme en profondeur.

LB