Chroniques

par bertrand bolognesi

Orchestre national du Capitole de Toulouse
Chostakovitch et Rachmaninov par Denis Matsuev et Tugan Sokhiev

Salle Pleyel, Paris
- 13 février 2010
Tugan Sokhiev dirige son Orchestre national du Capitole à la Salle Pleyel
© patrice nin

Ce rendez-vous parisien avec l'Orchestre national du Capitole de Toulouse est russe, bien sûr, comme en concocte régulièrement Tugan Sokhiev, en poste depuis deux ans et demi – et comme le sera celui de juin, avec Eugène Onéguine (Tchaïkovski). L'Ouverture de fête Op.96 écrite en 1954 par Chostakovitch introduit la soirée, une œuvre qui ne présente pas franchement de grand intérêt mais avec laquelle le chef ossète fait merveilleusement sonner ses pupitres, au point de la rendre plaisante. On y rencontre décuplées les grandes qualités de la formation toulousaine : cuivres rutilants, cordes précises, bois colorés, sous l'élégante et vive battue du jeune homme, qui n'est pas sans rappeler celle de Temirkanov.

Après le Concerto en ut majeur Op.26 n°3 de Prokofiev qu'ils donnaient le 31 janvier in loco, Sokhiev et Denis Matsuev se retrouve autour de la Rhapsodie sur un thème de Paganini Op.43 de Rachmaninov (1934). Fermement introduite par les cordes, le thème laisse bientôt profiter des moindres détails de l'orchestration. Si tout agit clairement dans les passages légers, les tutti les plus fréquentés ne laissent rien perdre, alors même que le tempo s'avère plutôt leste. Nous goûtons un piano robuste, inventif et sans manière, qui marie idéalement au « juste-ce-qu'il-faut » d'onctuosité des cordes une opulence de couleurs toute personnelle. Succédant à une tonicité roborative d'expression, le Dies iræ fait une entrée concentrée, sans pathos, où s’impose un climat qu'on dira désertique. Ciselant les différents plans de l'écriture, Sokhiev affirme une juste compréhension des contingences acoustiques de la salle, là où d'autres, et non des moindres, rencontrent encore des soucis à se faire entendre. Somptueusement musicale, la respiration ne se laisse jamais aller : l'interprétation sait salutairement ne pas trop s'écouter.

La seconde partie de la soirée offre les Danses symphoniques Op.45 (1945) de Rachmaninov (toujours), trois pages assez peu jouées au concert (condition qu'elles partagent avec Les cloches et ses opéras). Non allegro bénéficie d'une précieuse précision des dosages dynamiques, la progression de la masse sonore s'y trouvant avantageusement gérée, sans compter une véritable inspiration. Tugan Sokhiev en sculpte hargneusement la roche et dessine un épisode central sobrement choral. Aussi les cuivres de l'Andante con moto chantent-ils parfaitement, rappelant cette tradition de musique française (cultivée par Plasson) qui marie ici ses qualités aux caractères russes. Ce petit ballet pourrait bien résumer une alchimie plus complexe qu'il n'y paraît – à entendre les musiciens russes, certains compositeurs français ont développé différemment leur art, etc. Cet opus s'achève par un Lento au geste plus confus (je parle de l'œuvre) dont le chef souligne adroitement les contrastes, laissant entendre un certain héritage de Borodine et de Rimski-Korsakov où glisse une nouvelle fois le Dies iræ, thème qui obsède toute la production de Rachmaninov. Si le paysage musical français ne peut guère s'enorgueillir de voir fleurir des orchestres de haut niveau, indéniablement celui du Capitole demeure des meilleurs.

BB