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Chroniques
Orchestre national du Capitole de Toulouse
Iouri Temirkanov joue Weber, Brahms et Chostakovitch
Toulouse invite ce soir le patron de la Philharmonie de Saint-Pétersbourg, un des plus grands chefs russes d’aujourd’hui, Yuri Temirkanov, à diriger son orchestre dans un programme Chostakovitch, Brahms, Weber.
C’est l’ouverture d’Obéron que commencent les musiciens du Capitole. Ainsi apprécie-t-on dès les premières mesures un solo de cor parfaitement maîtrisé, à la sonorité souple et ronde. Mis à part un léger décalage des cordes sur un tutti au centre de la pièce, c’est, dans l’ensemble, une version claire et d’un élégant lyrisme, servie par un pupitre de violoncelles exceptionnel, que l’on fait entendre, avec certains choix sonores qui semblent vouloir dire que, quelques années plus tard, Berlioz autant que Wagner n’écouteraient pas d’une oreille distraite l’œuvre de Carl Maria von Weber.
Le programme se poursuit avec le Concerto pour violon et orchestre en ré majeur Op.77 de Johannes Brahms dans une lecture qui paraît nettement moins satisfaisante. Avec des contrastes sur-accentués, un tempo excessivement fluctuant, Temirkanov exprime une vision très romantique de cette page, oubliant une partie importante de la démarche du compositeur. Cela dit, c’est surtout au soliste, Joshua Bell, que revient le mérite, par une accumulation virtuose d’effets, de ralentis interminables, comme seuls peuvent le faire les instrumentistes qui s’écoutent jouer en oubliant musicalité, auteur et public, de rendre vulgaire le concerto d’un homme qui fut pourtant soucieux de mesurer son écriture et qui déjà n’était pas loin du retour au classicisme que l’on sait. Les attaques sont violentes, dans une sonorité rêche pour un son souvent trop faible, l’articulation de la phrase extrêmement maniérée, le chant toujours emphatique, et la cadence – de Joshua Bell lui-même – n’en finit plus. Bref, c’est une caricature du concerto de Brahms que nous subissons, assenée avec de grands airs bravaches.
En revanche, l’exécution de la Symphonie en mi mineur Op.54 n°6 de Dmitri Chostakovitch s’avère magistrale. Peut-être par mouvement d’humeur ou réaction après les caprices interprétatifs du violoniste (qui sait ?), Temirkanov prend d’emblée un tempo moins lent pour le Largo qui ouvre l’œuvre qu’avec son orchestre lors du concert parisien où il jouait la même symphonie [lire notre chronique du 29 mars 2003]. Si le climat en était assez solennel, il s’affirme ici à la fois tendu et dépouillé. À travers des soli d’une précision et d’une qualité infaillibles, comme celui du piccolo dans le premier mouvement, par exemple, l’Orchestre national du Capitole de Toulouse se révèle une fois de plus comme l’une des grandes formations françaises. On regrette pourtant une intervention presque « craquée » de la trompette, dans le Largo, et un groupe de quatre cors qui jamais ne parvient à l’unisson demandé. Les cordes suscitent l’admiration par leur grande tenue, une capacité de nuances fort développée, comme certains traits pianississimi d’une énigmatique douceur le démontrent dans ce premier mouvement. Comme précédemment entendu dans Obéron, les violoncelles se montrent exceptionnels. Avec une froideur inquiétante, le chef russe accentue le caractère grinçant et sarcastique de l’Allegro, non sans une jubilation un brin morbide. Le groupe qui réunit pour un même trait deux clarinettes, deux bassons et un contrebasson se tire plus aisément du respect des intervalles voulus que les cors qui ne s’en sortent pas mieux pour les sonneries héroï-comiques de ce mouvement. Enfin, le Presto conclusif est donné comme un cri, Temirkanov réussissant à rendre tragique une dérisoire musique de cirque.
Plus que celle donnée à Paris fin mars, cette interprétation rend directement hommage aux persécutions et à l’interdiction de la part des autorités soviétiques que rencontra l’œuvre après sa création.
BB