Chroniques

par bertrand bolognesi

Orchestre national de France
Symphonie en ut mineur n°2 de Mahler par Paavo Järvi

Festival de Saint-Denis / Basilique
- 6 juin 2006
Paavo Järvi  joue Berg et Mahler au Festival de Saint-Denis
© dr

À vingt-sept ans, Alban Berg, après les Sieben frühe Lieder (1905-1908) et les Quatre mélodies Op.2 (1909), se tourne une nouvelle fois vers la voix féminine en composant ses Altenberg Lieder Op.4, soit cinq Lieder avec orchestre d'après les textes de cartes postales de Peter Altenberg. Partant que l'orchestration des premiers ne fut réalisée qu'en 1928, en même temps que l'écriture de Lulu, c'est la première fois que le compositeur confronte son inspiration à la grande formation symphonique. Aussi, en héritier de Mahler, la choisit-il de préférence riche et développée. On a d'ailleurs souvent commenté le luxe des moyens convoqués pour une œuvre dont l'exécution ne couvre qu'une dizaine de minutes environ.

Cet opus constitue un introït idéal à la Deuxième de Mahler, une partition avec laquelle l'auteur, au même âge et quelques vingt-cinq ans plus tôt, inaugurait ce qui deviendrait la tradition du Lied avec orchestre qui nourrirait une grande partie de son propre parcours à travers le labyrinthe du Knaben Wunderhorn et continuerait d'alimenter l'imaginaire de la génération lui succédant, jusqu'aux Vier letze Lieder de Strauss (1948) et au-delà. La cohérence subtile de ce jeu de construction, cohérence annonçant à plus d'un titre la structure remarquable de Wozzeck, trouve à s'exprimer moins d'un an après la mort précoce de Mahler qui n'eut guère loisir d'apercevoir son crépuscule ; ainsi vient-elle ici comme surenchérir l'Ascension de la vaste Résurrection.

Attentif à l'acoustique généreuse de la Basilique, Paavo Järvi livre une interprétation un rien étirée qui sait tirer profit des différents soli, tout en offrant au soprano un écrin somptueusement lyrique. Inévitablement, la prestation sensible de Christine Schäfer rappelle l'exceptionnelle Lulu qu'elle incarnait à Glyndebourne et à Berlin [lire notre chronique du 14 juin 2003]. On retrouve sa grande intelligence du texte dont elle livre le moindre mot à chacun, trouvant pour complice une forme vocale particulièrement en verve. On admire la souplesse avec laquelle l'aigu est amené et la conduite du phrasé, au service d'un sens musical toujours en alerte.

La Symphonie en ut mineur n°2 de Gustav Mahler connaît ensuite un départ leste et contrasté à la théâtralité assumée. L'Allegro maestoso bénéficie d'une appréciable tonicité, parfois vertigineuse, d'ailleurs, d'un souffle diablement entretenu. C'est sous un jour quasi brucknérien qu'est ensuite amorcé l'Andante moderato, dans une élégance tendrement paysanne, d'autant accentuée par la relative lenteur qu'imposent les contingences acoustiques du lieu ; cela dit, plus de fermeté ne nuirait certes pas au mouvement dont le propos finit presque par s'égarer. De même regrette-t-on un troisième épisode noyé dans le détail et presque décomposé. En revanche, l'entrée du contralto élève l'écoute : Marie-Nicole Lemieux distille une pâte vocale d'un velours indescriptible. Le crescendo du chœur (Orfeón Donostiarra) opère discrètement, sournoisement pourrait-on dire, magnifiant bientôt l'heureux mariage des deux voix dans le vigoureux Scherzo final. Ce soir, l'alchimie prend bel et bien, entre solistes, chœur et musiciens de l'Orchestre national de France, portant l'oreille loin des considérations habituelles. Bref, l'on en ressort transformé, pour n'en pas dire plus…

BB