Chroniques

par david verdier

Orchestre Festival Budapest
Liszt et Wagner par Petra Lang et Iván Fischer

Salle Pleyel, Paris
- 3 mars 2011
Iván Fischer et son Orchestre Festival Budapest à la Salle Pleyel ( Paris)
© sonja werner

L'année Liszt justifiait-elle qu'on fasse figurer la pittoresque et sympathique Tanz in der Dorfschenke (première Méphisto-Valse) dans ce programme ? Il est permis d'en douter, surtout quand il s'agit pour l'Orchestre Festival Budapest de se chauffer les doigts et pour son chef, Iván Fischer, d'assurer confortablement le spectacle. La phalange ne démontre rien de bien intéressant, en dehors de la stricte et impeccable mise en place – ce qui est déjà beaucoup au regard du niveau de certains ensembles se produisant à Paris.

Plus homogènes (et plus attendues, évidemment), les pages orchestrales de Richard Wagner faisaient le sel de cette soirée et le bonheur du public. Iván Fischer ne cherche à aucun moment à rappeler que ces pièces sont des extraits d'opéras. Étrangement, elles sonnent à la façon de grands poèmes harmoniques, coupés de cet humus dramatique. L'ouverture de Tannhäuser se caractérise par une belle couleur inaugurale des cors, à la fois justes et peu vibrés ; tout comme les clarinettes qui leur répondent en soulignant le thème. Les cuivres ne sont pas héroïques, le chef privilégie le thème des pèlerins malgré des contours amollis et des interventions de la petite harmonie insuffisamment soulignées. Le socle harmonique grave est renforcé par un tuba remarquable et la présence des contrebasses, derrière les bois et bien au centre. Malgré de beaux moments, les interventions solistes (premier violon et piccolo notamment) sont assez neutres, comme si le chef ne cherchait pas à caractériser les différents éléments de l'ouverture. La bacchanale est expédiée à gros bouillons de trilles mais quand le tsunami des cordes se retire, de petits décalages apparaissent aux cors. La disposition de l'orchestre montre que Fischer est soucieux du fondu des timbres (triangle et tambourin parmi les cuivres) ; en revanche, la séparation des harpes répond davantage à un souci esthétique qu'à une nécessité acoustique.

Dans l'enchaînement, on ne se réveille pas dans les bras de Vénus mais dans la virile sonorité des Meistersinger. « Virile » est le terme, à en croire ces premiers accords pompeux et grossissant la dynamique générale. À ce rythme, les cuivres saturent très vite et le tempo traîne un peu. C'est appuyé et pesant ; la pâte sonore décidément trop épaisse ne permet pas aux cordes de s'exprimer véritablement. L'enchaînement des thèmes est « téléphoné », Fischer ralentit trop sans qu'on puisse dire pour autant qu'il fait disparaître le lyrisme dans le sucre romantique. Le problème semble provenir de pupitres ne chantent pas, le son irradie naturellement et les instruments se contentent de résonner. Avec ce tempo de plomb, la petite harmonie ne sautille pas, les trilles restent mornes et jamais lustig. L'addition des voix dans la strette finale produit un effet de ralentissement assez terne et hors de tout contrôle dynamique (on tremble pour Petra Lang à venir).

La seconde partie est plus convaincante, à l'image de ce Voyage de Siegfried sur le Rhin illuminé par la douceur des cordes. Iván Fischer, malheureusement, opte pour une version remaniée qui précipite et fait éternuer les cuivres subitement. Il est d'autant plus dommage de faire s'ébrouer ainsi l'orchestre alors que les interventions du cor solo qui succèdent sont si nuancées et d'une beauté d'intonation confondante. Le dialogue qui s'instaure avec le hautbois et les violons parvient (enfin !) à sortir Wagner de l'ornière germanisante (dans le mauvais sens du terme). On objectera cependant que l'idée de placer les contrebasses telles un pilier d'airain derrière les bois n'est certainement pas la meilleure qui soit dans une salle comme Pleyel.

La belle couleur nappée des cuivres (merci, les Wagner-tubas) ouvrirent l'horizon de la marche funèbre de Siegfried, ponctués par l'impressionnant impact des deux accords ff. Le thème circule parfaitement entre le cor anglais et les réponses de la clarinette et du hautbois ; en revanche, les harpes demeurent inaudibles et Fischer se contente de belles vagues dynamiques sans déchaînement furieux. Heureusement, quand Petra Lang se lève, on sait d'emblée qu'il va se passer quelque chose…

Elle se dresse subitement, poings serrés et regard décidé.
L'engagement est total et tant pis si le premier aigu est manqué, elle poursuit sa route – davantage Judith que Brünnhilde. Comme on pouvait le redouter, Fischer joue trop fort le début. À plusieurs reprises, quelques effets de « pleurage » de la petite harmonie (pas très juste, par endroits) indiquent le fait que le chef est pris au dépourvu par la longueur de certaines phrases chantées. Toute la déploration mezzo-forte (« …Ruhe, ruhe, du Gott ! ») révèle le talent de cette cantatrice quand on ne la contraint pas à forcer la voix. Hélas, les cuivres se laissent surprendre et le chef peine à relancer l'orchestre pour le final, malgré les superbes appels à Siegfried de celle qui s'élance dans les flammes. Pourquoi ralentir avant le gong ? Fischer a attendu que Lang s'arrête pour retomber dans un tempo décidément trop lent, et ce jusqu'à la fin. La combinaison harmonique des cors et des Wagner-tuba sur le long accord final est suprêmement contrôlée – ultime consolation…

DV