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Chroniques
Orchestre Festival Budapest
Bartok par József Lendvay et Mahler par Iván Fischer
Programme fleuve pour cette soirée de l’Orchestre Festival Budapest, ouverte par la musique de Béla Bartók et, assez emblématiquement, par les Chansons paysannes hongroises Sz.100, extension à l’orchestre (1933) de deux des Quinze Chants paysans hongrois conçus pour piano entre 1914 et 1918. Iván Fischer engage la Ballade dans un son puissant, presque lourd, où les répons bientôt se cisellent en contrastes. Tout en maintenant une aura qu’on pourrait presque dire épique, le chef dessine soigneusement les timbres (comme cet alliage organistique clarinette + flûte, par exemple) que portent des cordes à la fois denses et drues. D’emblée le mouvement impose la sonorité particulière de cet orchestre, une personnalité qu’il est bon d’entendre à l’heure où les formations internationales ont plutôt tendances à uniformiser leur couleur. C’est une riche étoffe que possède l’Orchestre Festival Budapest, assurément, comparable à cette matière exceptionnelle des crus de Villány ; et à poursuivre la comparaison, l’on dira qu’une souplesse étonnante trouve à distribuer formidablement ses opulences. Les Danses paysannes qui constituent le second épisode sont ici portées avec superbe.
Bartók, toujours, et son Concerto pour violon n°1 Sz.36 de 1908, d’une facture encore nettement post-romantique. Nous découvrons le violoniste József Lendvay qui, d’un fil remarquable de pureté et de simplicité, conduit sans en prendre l’air les entrées chambristes, exquis échanges et relais délicats qui contrepointent sa discrète cantilène. Sous cet archet, tout paraît facile, y compris ce grand souffle qui ne brasse rien, hautement respiré comme intimement inspiré. L’inflexion s’affirme ténue et pleine sans qu’à la tenue finale, habilement filée, aucun sort ne soit fait. L’Allegro giocoso accuse cependant des inexactitudes dans les traits ô combien rapides. L’exécution n’en est pas précisément ternie, non, mais gagnerait à une précision plus aiguisée. Extrêmement attentif à l’équilibre, Fischer suit en bonne intelligence un soliste expressif qui use alors d’une raucité bienvenue. On regrette toutefois un fortissimo conclusif en pavé, assez bruyant.
Iván Fischer et son orchestre viennent de faire paraître leur enregistrement de la Symphonie n°1 de Gustav Mahler (Channel Classics | CCS SA 33112), après des Deuxième, Quatrième et Sixième favorablement remarquées. Aussi la deuxième partie de la soirée est-elle attendue, puisqu’elle affiche la Symphonie en ut # mineur n°5 de 1902. On retrouve les qualités qui font la signature de Fischer – une signature si personnelle qu’elle brillait récemment à la tête du Koninklijk Concertgebouworkest [lire notre chronique du 21 juin 2012], n’en déplaise aux tristes sires qui prétendent que cet artiste ne saurait s’exprimer qu’avec « son » orchestre. Impérative à en serrer salutairement l’articulation, la trompette, redoutablement exacte, ouvre une Trauermarsch finement dosée. L’exposition des violons est à peine retenue, pas vraiment rubato, dans une conduite affûtée des aléas de tempo, sans déroger à un généreux appui, bien reconnaissable, sur la pâte des cordes graves. Chaque insert, toute ponctuation sera littéralement « prononcé », quand bien même le chant resta volontairement timide, se nimbant dans une mélancolie un rien essoufflée, très Mitteleuropa. Contrairement à l’opus précédent, le tutti se déploie sans jamais masquer le détail ; au contraire, cette lecture à la fois rigoureuse et inspirée peigne assidument chaque trait, jusqu’à l’inépuisable couleur des cuivres ou à l’étonnant fondu des timbales dans les pizz’ de contrebasses (à la reprise de la sonnerie initiale). Les fusions se réalisent comme « naturellement », avançant vers l’orchestre de Webern.
Stürmisch bewegt sonne plus contrasté, jusqu’au métal, à certains passages, sans se départir d’une attache résolument terrestre qui prend le temps de disperser plus sûrement la dramaturgie du mouvement (au risque, parfois, d’un rien « décomposer » les flûtes). Sombre et secrète, la véhémence finale gagne un impact fou. D’abord rondement mené, le Scherzo ouvre son centre à une respiration plus large, choral somptueux des cors et répons chaleureux des cordes – à juste titre « nicht zu schnell », s’il faut le rappeler. La section en pizz’ survient dans une nuance infinie. Une tendance à alanguir un brin le geste général laissait craindre un écrasant Adagietto : il n’en est rien, Iván Fischer le préservant d’un trop vaste étirement dans une mobilité toujours svelte. Enfin, un goût nouveau se reconstruit peu à peu dans le Rondo, d’une élégante dignité, assez lente, où les virevoltes s’enlacent bientôt en un lyrisme enlevé. Quelle Cinquième !
BB