Chroniques

par françois cavaillès

Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI Torino
Pietari Inkinen joue les ouvertures et préludes de Wagner

Nuits romantiques du Lac du Bourget / Centre des Congrès, Aix-les-Bains
- 7 octobre 2017
Pietari Inkinen dirige l’Orchestre de la RAI dans Wagner à Aix-les-Bains
© dr

C'est sur la promesse, lancée par son délicieux président Jean-Michel Paillot, d'un parcours initiatique au parfum d'aventure que les Nuits romantiques du Lac du Bourget, sans être un festival d'opéra, montent à l'assaut du sommet de son programme, consacré cette année à Richard Wagner. Il s'agit de donner les ouvertures ou préludes de chacun des onze ouvrages lyriques du maître de Bayreuth, de Rienzi (1842) à Parsifal (1882), dans l'ordre chronologique de composition. Généreuse et même un peu folle, cette idée donne un résultat non exempt de tout reproche mais offert avec une magnifique sincérité.

« Bouclez votre ceinture, le voyage inédit à travers toute l'œuvre wagnérienne peut commencer ! » En voiture (comme l'y invite la brochure de salle), oui, avec l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI Torino, dirigé par le jeune Pietari Inkinen, pour une grandiose virée sinueuse sur de géniales cimes lyriques. Telle une limousine serpente sur la corniche au-dessus du lac, voici donc venir, sur les bois sombres des premières mesures, la prière de Rienzi, aux beaux méandres resserrés. Ouverture galvanisante, d'une belle pompe, et drôlement percutante grâce aux tempi bien maîtrisés du grand effectif piémontais (une centaine de musiciens se partageant la scène). Dans l'intervalle entre cette somptueuse fanfare en marche et les soupirs agités des cordes brille la direction rapide et stoïque du Finlandais. À la montée jusqu'au tutti et un final tranché à la hache, ce premier succès de la soirée est bel et bien fracassant.

De même, le souffle épique, la tempête levée par les cuivres sont fort perceptibles à l'abordage de Der fliegende Holländer (1843). L'image fantastique du navire gagne les esprits au paroxysme de la charge orchestrale et du sentiment de grâce qui en retombe comme une merveilleuse écume. Ainsi l'envoûtante performance musicale, épaisse même dégarnie, arrive mieux qu'à la grosse cheville des monstres sacrés de Bayreuth.

De Tannhäuser (1845) nous parviennent, dans la blancheur crémeuse d'une exécution un peu embarrassée mais encore riche en redécouvertes, les effluves du désir et un sérieux appétit de voir s'ouvrir l'ouvrage au Venusberg de toutes les tentations. Pour éviter, peut-être, que le procédé ne paraisse trop sec ou frustrant, l'univers de chaque opéra est certes systématiquement donné au préalable, en simplifiant souvent à outrance et en commentant un peu, par la musicologue Corinne Schneider. Mais à vouloir ne pas dissocier la musique du reste, son appréciation en souffre beaucoup. Sans grande réaction chimique entre les notes et les mots, l'expérience wagnérienne se poursuit pour le mieux avec Lohengrin (1850), laquelle n'a même jamais paru aussi proche ou populaire. Le formidable bain lustral augural et la subtilité surnaturelle à dévoiler le thème du Graal ravissent connaisseurs et profanes.

La seconde partie de programme pénètre le domaine des Nibelungen.
Interprété comme un modèle d'inspiration et de gradation, le prélude de Das Rheingold (1869) évoque le splendide monde lacustre environnant, semblant même découvrir L'Or du Bourget... Beaucoup plus rythmé, strident et terriblement dramatique à l'abord se présente Die Walküre (1856), le cœur sur la langue et les dents serrées pour contenir des cris déchirants. Nulle perte d'intensité pour le prélude de Siegfried (1857), aux charmes retors, avant que tension, noblesse et une certaine classe italienne n'éclaboussent les prémisses de Götterdämmerung (1876).

Mais, aux bornes de la perfection, de doux murmures en ravages s'offre comme irrésistible la puissance d'attraction de Tristan und Isolde (1859), œuvre totémique du festival, dont la création française eût lieu à Aix-les-Bains cent vingt ans plus tôt – le 10 septembre 1897, au Théâtre du Casino où nous entendions Jonas Vitaud hier [lire notre chronique de la veille]. Concentrés sans malaise dans la fournaise aixoise, les remarquables jeunes musiciens turinois se surpassent ensuite pour Die Meistersinger von Nürnberg (1868), et parviennent, au fil des facéties géniales de cette si savante et exigeante ouverture, à une joyeuse communion finale. Ils atteignent un dernier sommet au seuil de Parsifal (1882). Les thèmes fondamentaux sont visités avec une superbe humilité pour fidèlement conclure, comme au soir de la vie de Richard Wagner, que le renoncement au désir peut être la plus belle victoire finale.

Pour un soir de concert exceptionnel, aux plaisirs variés, bravo à tous les instrumentistes d'avoir su relever ce joli défi.

FC